L’URSSAF veut aussi redresser… la femme du boulanger !
Dans les histoires de Pagnol, c'est Pomponette qui disparaît et met le village en émoi.
Dans la vraie vie, c'est l'URSSAF qui s'emballe… pour une baguette.
En voyant la femme du boulanger aider son mari derrière le comptoir, l'inspection du travail a crié au travail dissimulé et l'URSSAF a réclamé plus de 7.000 euros.
Mais la Cour d'appel de Riom a tranché : un coup de main familial n'est pas un emploi caché.
Dans le film de Marcel Pagnol, tout le village s'émeut quand la femme du boulanger s'enfuit avec un berger, laissant derrière elle le pauvre Aimable et sa chatte Pomponette.
Presque un siècle plus tard, ce n'est plus Pomponette qui fait tourner la tête du boulanger, mais l'URSSAF qui s'acharne… sur sa femme.
Contrôle surprise : la compagne du boulanger est aperçue derrière le comptoir, une baguette de pain à la main.
Pour l'inspection du travail, c'est du travail dissimulé.
L'URSSAF réclame plus de 7.000 euros de cotisations et de pénalités.
Mais la Cour d'appel de Riom[1] a remis les pendules à l'heure : donner un coup de main ponctuel, sans contrat, sans salaire et dans un cadre familial, ce n'est pas du travail dissimulé.
C'est de l'entraide.
L'article L.8221-5 du code du travail porte les dispositions suivantes :
« Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1°) Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2°) Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre I de la troisième partie ;
3°) Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »
L'article L.8271-8 du code du travail dispose que les infractions aux interdictions du travail dissimulé sont constatées au moyen de procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire, qui sont transmis directement au procureur de la République.
L'article L.242-1-2 du code de la sécurité sociale dispose que, pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale et par dérogation à l'article L.242-1, les rémunérations qui ont été versées ou qui sont dues à un salarié en contrepartie d'un travail dissimulé au sens des articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail sont, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée, évaluées forfaitairement à25 % du plafond annuel défini à l'article L.241-3 en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé, ces rémunérations étant soumises à l'article L.242-1-1 du présent code et réputées avoir été versées au cours du mois où le délit de travail dissimulé est constaté.
L'URSSAF ne peut assimiler à un emploi salarié toute aide ponctuelle au sein d'une entreprise familiale. C'est ce qu'a rappelé la Cour d'appel de Riom dans un arrêt du 29 juillet 2025, infirmant une décision de première instance qui avait condamné une boulangerie pour travail dissimulé.
L'affaire illustre avec force les critères du travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et la distinction essentielle avec la notion d'entraide familiale.
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Les faits
Un inspecteur du travail surprend la compagne du boulanger au comptoir d'une boulangerie artisanale, vendant une baguette.
Elle n'a ni contrat de travail, ni déclaration préalable à l'embauche, ni bulletin de paie.
Le gérant explique qu'il s'agit de sa conjointe, qui l'aide ponctuellement depuis le départ des vendeuses. La DIRECCTE dresse un procès-verbal de travail dissimulé, transmis au parquet puis classé sans suite.
L'URSSAF réclame néanmoins plus de 7.000 € de cotisations et pénalités, considérant que l'entreprise a eu recours à un travail dissimulé.
La procédure
- Commission de recours amiable (CRA) : contestation rejetée.
- Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand : confirme le redressement et condamne l'entreprise.
- Cour d'appel de Riom : l'EURL interjette appel, soutenant que l'aide apportée par la compagne du boulanger relève de l'entraide familiale.
Les arguments de l’URSSAF
L'organisme de recouvrement affirme :
- que la compagne du boulanger travaillait régulièrement depuis le départ des salariées ;
- que son activité était indispensable au fonctionnement de l'entreprise ;
- qu'elle se trouvait dans un lien de subordination avec le gérant ;
- et que, même sans preuve de rémunération, elle tirait un bénéfice de l'activité en partageant les revenus du foyer.
L'analyse de la cour
La Cour rappelle que le travail dissimulé suppose la réunion de critères précis :
- Lien de subordination (pouvoir de donner des ordres, en contrôler l'exécution, sanctionner).
- Existence d'une rémunération.
Or, en l'espèce :
- Les seules constatations matérielles se limitent à la vente d'une baguette.
- La compagne du boulanger était en fin de grossesse puis en maternité ; la boulangerie était fermée plusieurs semaines.
- Les actes réalisés ne dépassent pas le cadre d'un coup de main occasionnel.
- Aucun élément ne démontre ni rémunération, ni subordination.
La Cour estime donc qu'il s'agit d'une entraide familiale et non d'un travail salarié. L'URSSAF n'apporte pas la preuve contraire.
La décision
La Cour d'appel de Riom a jugé :
"En l'espèce, il est constant que, le 08 octobre 2020, un inspecteur du travail a constaté la présence, dans la boulangerie artisanale exploitée par l'EURL de M.[G] [S], de Mme [Y] [Z] occupée à vendre une baguette à un client. Il a alors entendu les explications de M.[S], présent dans le fournil en compagnie d'un commercial, qui lui a indiqué que Mme [Z] était sa compagne, avec qui il vivait dans l'appartement situé au-dessus de la boulangerie, et qui le remplaçait au comptoir pendant qu'il discutait avec le commercial, et lui venait en aide du fait que la vendeuse Mme[L] avait quitté son emploi le 31 août 2020. Il a indiqué que Mme [Z] ne disposait pas d'un contrat de travail ou de bulletins de paie et n'avait pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Ensuite entendu par les services de la DIRECCTE le 17 février 2021, M.[S] a selon l'URSSAF indiqué que Mme [Z] avait travaillé occasionnellement dans la boulangerie depuis le premier septembre 2020 pour remplacer les deux vendeuses Mmes [L] et [J], et qu'elle effectuait quelques tâches de comptabilité et de production. Le 07 mai 2021, la DIRECCTE a établi un procès-verbal de travail dissimulé transmis au parquet, qui l'a classé sans suite.
Le tribunal, pour rejeter le recours de l'entreprise et sa contestation de l'existence d'une situation de travail dissimulé, a écarté ses explications selon lesquelles Mme [Z] intervenait dans le cadre d'une entraide familiale, considérant que son activité excédait ce cadre, en ce que le commerce de boulangerie ne pouvait durablement fonctionner sans son aide pour la vente de la production antérieurement exercée par des salariés.
L'EURL [2], à l'appui de son appel, soutient que Mme [Z] n'a pas la qualité de salariée et qu'aucune situation de travail dissimulé n'est caractérisée, l'inspecteur ayant constaté la vente d'une seule baguette à un seul client, et le commercial présent sur les lieux confirmant que l'intervention de Mme [Z] était exceptionnelle, pour permettre à M.[S] de vérifier ses stocks dans le but de passer sa commande. L'EURL soutient que cette intervention relève de l'entraide familiale, en ce que Mme [Z] n'a perçu aucune rémunération et n'était soumise à aucun lien de subordination.
L'EURL conteste ensuite le montant du redressement, portant sur la période du premier septembre 2020 au 08 octobre2020, alors que Mme [Z] se trouvait du 07 au 10 septembre à la maternité pour donner naissance à l'enfant du couple, et que suite à cette naissance la boulangerie était fermée du 09 au 24 septembre 2020, le chiffre d'affaires total de la boulangerie pour le mois de septembre se limitant à 3.848 euros, et étant nul pour la période du 11 au 24 septembre.
L'URSSAF soutient que le travail dissimulé est caractérisé par l'existence d'un lien de subordination s'imposant à Mme [Z], en ce que M.[S] a reconnu qu'elle travaillait dans l'établissement depuis le départ des vendeuses le 31 août2020, exécutant donc des prestations la plaçant dans un lien de subordination. L'URSSAF conteste l'existence de la situation d'entraide familiale, au regard du caractère habituel, réciproque et fréquent du travail de Mme [Z], et de son caractère intéressé, en ce qu'elle bénéficie directement des revenus de l'activité en qualité de compagne du gérant de l'entreprise. L'URSSAF relève que M.[S] ne justifie pas de l'absence de versement d'une rémunération, et que l'EURL a bénéficié d'un avantage financier en ce que Mme [Z] a remplacé deux vendeuses. L'URSSAF soutient enfin qu'il importe peu que ne soient démontrés ni un lien de subordination ni le versement d'un salaire en ce que l'établissement ne peut fonctionner normalement sans la présence de Mme [Z], M.[S] ayant reconnu qu'elle travaillait occasionnellement dans l'établissement depuis le premier septembre 2020 et effectuait quelques tâches de comptabilité et de production.
L'URSSAF soutient ensuite, concernant le montant du redressement, qu'il a été évalué forfaitairement de manière régulière, sur la base de six fois le SMIC mensuel.
L'entreprise contestant la situation de travail dissimulé, il appartient donc à l'URSSAF de démontrer cette circonstance, soutenant à cette fin que Mme [Z] était soumise à un lien de subordination et que son activité était nécessaire à l'entreprise.
La cour constate qu'il ressort des éléments soumis au débat que, au cours de la période visée par le redressement, s'agissant des mois de septembre, octobre et novembre 2020, l'URSSAF, concernant l'unique personne susceptible d'avoir effectué le travail dissimulé allégué, Mme [Z], justifie du constat d'un unique acte de vente d'une unique baguette à un unique client le 08 octobre 2020. L'URSSAF invoque par ailleurs les déclarations de M.[S], dont le procès-verbal d'audition n'est pas produit, et qui aurait déclaré, comme ne le conteste d'ailleurs pas l'entreprise, que Mme [Z] travaillait occasionnellement dans l'établissement depuis le premier septembre 2020 pour remplacer une ou deux vendeuses dont l'emploi avait pris fin à cette date, et qu'elle effectuait quelques tâches de comptabilité et de production, dont la nature et l'ampleur ne sont pas précisées.
L'entreprise conteste d'une part l'existence d'un lien de subordination concernant Mme [Z], et d'autre part le fait que l'activité de cette dernière aurait été indispensable à son fonctionnement comme le soutient l'URSSAF. A cette fin l'entreprise expose que, au cours de la période concernée, entre le premier septembre 2020 et le 08 octobre 2020,Mme [Z] se trouvait du 07 au 10 septembre à la maternité pour donner naissance à l'enfant du couple, dont elle démontre qu'il est né le 08 septembre, et soutient sans être contredite que la boulangerie a ensuite été fermée jusqu'au24 septembre. L'URSSAF ne contestant pas ces circonstances, il s'en déduit que l'activité de Mme [Z], au cours de la période visée par le redressement, n'a pu s'exercer que du premier au 06 septembre 2020 et du 25 septembre au 08octobre, l'URSSAF ne faisant état d'aucune activité après le contrôle du 08 octobre 2020 jusqu'à la fin de la période concernée le 30 novembre 2020.
La cour constate que, contrairement à ce que soutient l'URSSAF, le fait que Mme [Z] ait pu effectuer quelques actes de travail au cours de ces périodes, dans des conditions nécessairement restreintes puisqu'elle arrivait au terme de sa grossesse ou avait accouché depuis moins d'un mois, ne suffit aucunement à démontrer que son activité était nécessaire au fonctionnement de l'entreprise, la capacité de travail de l'intéressée étant par nature très réduite dans ces circonstances, et aucun autre élément n'établissant ce caractère prétendument indispensable.
La cour considère donc qu'il n'est pas démontré que l'intervention de Mme [Z] a dépassé le cadre de la simple entraide familiale, en ce que le fait que celle-ci réside avec le gérant de l'EURL dans l'appartement situé au-dessus de la boulangerie permet raisonnablement de considérer qu'elle a pu occasionnellement effectuer les actes ensuite reconnus par ce dernier, sans s'inscrire nécessairement dans un lien de subordination avec l'entreprise. La cour considère que le fait de rendre service ponctuellement à son concubin travaillant à proximité immédiate du logement familial dans une entreprise unipersonnelle artisanale ne suffit pas à démontrer l'existence d'un lien de subordination, aucun élément du dossier ne permettant de penser que l'EURL a disposé du pouvoir de donner des ordres à Mme [Z],d'en contrôler l'exécution et de sanctionner d'éventuels manquements, ce qui semble d'ailleurs peu compatible avec la matérialité de la situation d'une jeune femme en toute fin de grossesse ou venant d'accoucher. La cour considère que l'URSSAF ne démontre donc pas l'existence d'un lien de subordination.
L'URSSAF ne produit pas plus d'éléments permettant de penser que Mme [Z] a perçu une rémunération versée par l'EURL, le fait de partager sa vie avec son gérant ne suffisant pas à caractériser cette circonstance.
En conséquence, l'EURL démontrant que la situation de travail dissimulé n'est pas caractérisée, le jugement sera infirmé en ce sens, la lettre d'observation et la mise en demeure seront annulées, et l'URSSAF sera déboutée de sa demande en paiement. »
Portée de l’arrêt
Cet arrêt rappelle que :
- L'URSSAF supporte la charge de la preuve du travail dissimulé.
- L'entraide familiale, même en entreprise, ne peut être assimilée à un emploi salarié dès lors qu'il n'existe ni rémunération ni lien de subordination.
- Une simple présence derrière un comptoir ou une aide ponctuelle ne suffit pas à caractériser une infraction.
Conclusion
L'arrêt de la Cour d'appel de Riom marque un coup d'arrêt aux redressements hâtifs fondés sur des présomptions fragiles.
Il rappelle que l'URSSAF doit établir de manière certaine l'existence d'un emploi salarié dissimulé et qu'elle ne peut assimiler une aide familiale ponctuelle à un contrat de travail.
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[1] Cour d'appel de Riom, 29 juillet 2025, n° 23/00929
Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
Eric ROCHEBLAVE
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