« Faux » cadre dirigeant = condamnation d’un employeur à  + 280.000 € de rappel d’heures supplémentaires et indemnités

Succès de Maître Eric ROCHEBLAVE, Avocat au Barreau de Montpellier, à faire reconnaître que le salarié « ne disposant pas d’une large autonomie de décision n’a pas la qualité de cadre dirigeant” et doit donc être rémunéré de ses heures supplémentaires. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Nîmes dans sa décision du 10 octobre 2017 (RG 15/05069, Arrêt n° 919)

Monsieur M. a été engagé le 30 juin 1996 par l’Association S. en qualité de chef de service éducatif.

Au dernier état de la relation de travail, Monsieur M. exerçait les fonctions de directeur d’un établissement et de chef de service éducatif au sein d’un autre établissement de l’Association S.

L’Association S. est une entreprise de 16 établissements et de plus de 300 salariés (Source : L’Indépendant 2 mars 2015).

Estimant que l’intégralité de ses heures de travail ne lui avait pas été réglées, Monsieur M. a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur le 6 avril 2010 et a saisi la juridiction prud’homale.

Le Conseil de Prud’hommes de Nîmes l’a débouté de l’intégralité de ses demandes.

Il a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 24 mai 2014, la Cour d’appel de Nîmes a infirmé le jugement du Conseil de Prud’hommes de Nîmes et dit que Monsieur M. n’avait pas la qualité de cadre dirigeant au sens de l’article L. 3111-2 du code du travail et qu’il pouvait prétendre au paiement d’heures supplémentaires, outre les repos compensateurs.

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production de tous les éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en apportant, le cas échéant, ses propres éléments sur les horaires effectivement réalisés.

L’employeur a opposé au salarié le statut de cadre dirigeant, qui comme l’indique l’article L. 3111-2 du code du travail « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »

Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise.

Toutefois, si les trois critères fixés par l’article L. 3111-2 du code du travail impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l’entreprise, il n’en résulte pas que la participation à la direction de l’entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux. Pour condamner un employeur à payer à un salarié des sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires et de congés payés, il appartient aux Juges d’examiner la situation du salarié au regard des trois critères légaux (Cass. Soc. 22 juin 2016 n° 14-29246).

En l’espèce, la Cour d’appel de Nîmes a jugé que le statut de cadre dirigeant ne pouvait pas être retenu aux motifs que  :

  • Monsieur M. bénéficiait de larges responsabilités étant désigné comme directeur de structure d’accueil et chef de service éducatif. Toutefois, et bien que son contrat de travail prévoyait « activité horaire : la notion de responsabilité permanente de l’établissement, liée à la fonction de direction exercée, exclut toute fixation d’un horaire préalablement défini », son indépendance dans l’organisation de son emploi du temps avait pour limite les contraintes en personnel même s’il ne contredit pas être l’auteur de ses propres plannings.
  • Monsieur M. percevait une rémunération correspondant à celui attribué aux directeurs d’établissement et de service présentant une ancienneté de 12 ans s’agissant effectivement d’une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’établissement, ce qui n’est pour autant révélateur d’aucune position particulière autre que celle conférée par ce statut, au demeurant partagé par d’autres, au sein de l’association et ne présume en rien de l’aptitude à diriger l’association dans son ensemble.
  • Monsieur M. ne dirigeait pas l’association au sein de laquelle il occupait le poste de directeur d’établissement. Il était invité à participer aux conseils d’administration comme tous les autres directeurs d’établissement pour informer les membres du conseil mais ne disposait bien évidemment pas de voix délibérative. Les budgets prévisionnels co-signés par le salarié, avec le président du conseil d’administration, ne concernaient que les trois établissements sous la responsabilité du salarié et ne concernaient donc pas l’association dans son ensemble.
  • Si Monsieur M. a pu prendre des décisions comme le transfert des locaux administratifs de l’association ou le recrutement d’un aide comptable alors même que ce poste n’était pas prévu au budget, ces deux exemples isolés ne sont pas révélateurs d’une situation de cadre dirigeant
  • Soutenir que Monsieur M. était le « dirigeant de fait de l’association » ne correspond à aucune réalité sauf à considérer le conseil d’administration comme un simple organe chargé d’entériner des décisions imposées par le ou les directeurs ce qui ne résulte d’aucun document
  • La fiche de poste produite par l’association et non signée de Monsieur M. rappelle que le directeur agit sous l’autorité du président et assure la mise en œuvre du projet d’établissement approuvé par l’association. La délégation de pouvoirs aux directeurs, dont il n’apparait pas qu’un exemplaire ait été remis au salarié, rappelle que le directeur met en œuvre la politique de l’association
  • Monsieur M. produit des témoignages de salariés de l’association attestant qu’il ne disposait pas d’une large autonomie de décision

Pour la Cour d’appel de Nîmes, il résulte de ce qui précède que le principe d’un paiement d’heures supplémentaires était acquis.

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Toutefois, eu égard au montant réclamé par le salarié, au volume de pièces communiquées par ce dernier, la Cour d’Appel de Nîmes a convenu de recourir à une mesure d’expertise pour établir le montant de sa créance à ce titre.

Cour d’appel de Nîmes, 20 mai 2014 n° 832

L’employeur a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Devant la Cour de cassation, l’employeur a fait grief à l’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes de dire que le salarié n’avait pas la qualité de cadre dirigeant.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur.

Pour la Cour de cassation, après avoir relevé que, selon la fiche de poste de directeur d’établissement produite par l’employeur, le salarié était chargé d’assurer la mise en œuvre du projet d’établissement approuvé par l’association, la Cour d’Appel de Nîmes, appréciant souverainement les conditions d’exercice de ses fonctions, a fait ressortir que l’intéressé ne disposait pas d’une large autonomie de décision ; elle a pu en déduire qu’il n’avait pas la qualité de cadre dirigeant.

Cass. Soc. 11 janvier 2017 n° 14-21548

Dans son arrêt du 20 mai 2014, ainsi confirmé par la Cour de cassation le 11 janvier 2017, la Cour d’appel de Nîmes avait dit que le principe du paiement d’heures supplémentaires était acquis et qu’il convenait de recourir à une mesure d’expertise pour déterminer le montant de la créance du salarié.

Le 10 octobre 2017, la Cour d’appel de Nîmes a prononcé sa décision.

D’une part, la Cour d’appel de Nîmes a jugé que l’Association S. avait violé le droit à la santé et au repos de Monsieur M.

Pour la Cour d’appel de Nîmes, la preuve du non-respect par l’employeur de ses obligations résultant des articles L. 3132-1, L. 3132-2, L. 3121-34, L. 3121-35 et L. 3121-36 du Code du travail visés par le salarié dans sa demande résulte suffisamment des attestations versées aux débats et des autres éléments dont il se prévaut.

D’autre part, sur la rupture du contrat de travail, la Cour d’appel de Nîmes a rappelé que la démission du salarié, assortie de griefs à l’encontre de l’employeur constitue une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifient.

En l’espèce, la Cour d’appel de Nîmes a jugé que dans la lettre, dans laquelle Monsieur M. motive sa décision en formulant divers griefs à l’encontre de son employeur, s’analyse en une prise d’acte ; que le non-paiement des heures supplémentaires accomplies et des repos compensateurs afférents, représentant la somme de 142.818,35 Euros justifie à lui seul la prise d’acte qui produit dès lors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, le 10 octobre 2017, la Cour d’appel de Nîmes a condamné l’Association S. à payer à Monsieur M. :

  • 142.818,35 Euros à titre de rappel d’heures supplémentaires et repos compensateurs
  • 14.281,84 Euros à titre de congés payés afférents
  • 2.500 Euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des obligations en matière de santé et de droit au repos
  • 59.472,36 Euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
  • 30.000 Euros à titre de dommage-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
  • 2.500 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
  • aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise (5.314,12 Euros)

Cour d’appel de Nîmes, 10 octobre 2017  RG 15/05069, Arrêt n° 919

En plus de ces sommes, l’employeur a du  payer au salarié les intérêts moratoires d’environ 28.000 Euros sur les créances légales. Il s’agit de dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistant dans l’intérêt au taux légal, à compter de la saisine du Conseil de Prud’hommes (Article 1231-6 du Code civil)

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

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