URSSAF : peut-on produire de nouvelles pièces devant le juge contre un redressement ?
Oui. La Cour de cassation a jugé que le cotisant peut produire devant le juge des pièces qui n'avaient pas été transmises à l'URSSAF lors du contrôle.
Toutefois, une limite existe : il est interdit de produire pour la première fois en justice une pièce expressément demandée par les inspecteurs URSSAF et non remise à ce moment-là.
Cette solution concilie le droit au procès équitable (art. 6 §1 CEDH) avec l'efficacité du contrôle URSSAF.
Lors d'un contrôle URSSAF, les inspecteurs exigent de l'employeur la communication de nombreux documents. Ces justificatifs doivent démontrer l'exactitude des déclarations sociales. Mais que se passe-t-il si l'entreprise ne transmet certains éléments qu'après coup, devant le juge ?
Par un arrêt du 4 septembre 2025[1], la Cour de cassation a tranché : le cotisant peut produire de nouvelles pièces en justice, mais pas sans limites. Cet arrêt apporte une clarification essentielle pour tous ceux qui contestent un redressement URSSAF.
Les faits : un redressement sur une retraite supplémentaire
Le litige concernait une association, contrôlée par l'URSSAF Rhône-Alpes sur la période 2008–2010.
- L'URSSAF a retenu l'existence de cotisations dues sur la participation patronale à un régime de retraite supplémentaire.
- L'association contestait, soutenant qu'aucune prime n'avait été versée.
- Elle a produit en appel une attestation d'assureur postérieure au contrôle, certifiant l'absence de contributions.
La cour d'appel de Lyon (12 avril 2022) a rejeté cette preuve, considérant sa production tardive et dépourvue de pertinence.
La question juridique : recevabilité des pièces nouvelles devant le juge
La problématique centrale était la suivante :
👉 Un cotisant peut-il, devant le tribunal, produire des documents qu'il n'a pas remis à l'URSSAF lors du contrôle ou de la phase contradictoire ?
La réponse engageait à la fois :
- le droit à la preuve et au procès équitable (article 6 §1 CEDH),
- les règles de procédure civile (article 563 CPC),
- et les dispositions propres au contentieux URSSAF (articles L. 243-7 et R. 243-59 CSS).
La solution de la Cour de cassation
La deuxième chambre civile adopte une position équilibrée :
« Selon l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.
Le droit au procès équitable n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.
Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, les employeurs sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle tout document et de permettre l'accès à tous supports d'information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l'exercice du contrôle. L'employeur a le droit pendant le contrôle de se faire assister du conseil de son choix. Il est fait mention de ce droit dans l'avis prévu à l'alinéa précédent.
À l'issue du contrôle, les agents chargés du contrôle mentionnés à l'article L. 243-7 communiquent au représentant légal de la société ou au travailleur indépendant une lettre d'observations datée et signée par eux mentionnant l'objet du contrôle réalisé, le ou les documents consultés, la période vérifiée, le cas échéant, la date de la fin du contrôle et les observations faites au cours de celui-ci. Les observations sont motivées par chef de redressement et comprennent les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement et, le cas échéant, l'indication du montant des assiettes correspondantes, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l'indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L. 243-7-2, L. 243-7-6 et L. 243-7-7 qui sont envisagés. La lettre d'observations indique également au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception à ces observations et qu'il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.
La contestation des décisions de recouvrement, prises à la suite de ce contrôle, porte sur des droits et obligations à caractère civil au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce dont il résulte qu'en cas de contestation par le cotisant, les juridictions judiciaires exercent leur contrôle sur la régularité de la procédure, la matérialité des faits et l'application des lois servant de fondement à la décision litigieuse (Soc., 23 mai 2002, pourvoi n° 00-12.309 ; 2e Civ., 24 mai 2005, pourvoi n° 03-30.634).
La Cour de cassation juge qu'à l'occasion de cette contestation, qui peut porter sur la régularité ou le bien-fondé du redressement, le cotisant peut soulever des moyens de contestation autres que ceux soulevés devant la commission de recours amiable (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-18.077, publié).
Le pourvoi pose la question de savoir si le cotisant peut également produire, à l'appui de son recours, des pièces qu'il n'a pas fournies à l'organisme de recouvrement lors du contrôle ou de la phase contradictoire.
Le droit au procès équitable, dont le droit à un accès à un tribunal est une composante, implique que chaque partie à l'instance soit en mesure d'apporter la preuve des éléments nécessaires au succès de ses prétentions.
Ce droit à la preuve doit être concilié avec les modalités propres à la déclaration, au calcul et au paiement des cotisations et contributions sociales qui reposent sur un système déclaratif, sous la seule responsabilité de l'employeur.
Il en résulte que, pour l'application des articles L. 213-1 et L. 243-7 du code de la sécurité sociale, les cotisants doivent conserver les éléments de preuve de nature à démontrer l'exactitude de leurs déclarations afin que les organismes de recouvrement, qui sont chargés de la vérification de l'exhaustivité, de la conformité et de la cohérence des informations déclarées par les cotisants, puissent exercer a posteriori un contrôle de l'application des dispositions du code de la sécurité sociale.
Pour vérifier le respect de ces règles d'ordre public, les organismes, qui disposent de prérogatives exorbitantes du droit commun au cours des opérations de contrôle, peuvent exiger des cotisants la production des éléments nécessaires à cette vérification.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que, pour assurer l'effectivité du contrôle par le juge de la matérialité des faits, le cotisant doit pouvoir produire devant celui-ci l'ensemble des pièces nécessaires au succès de ses prétentions.
Cependant, le cotisant ne peut produire pour la première fois devant le juge une pièce qui lui a été expressément demandée par l'organisme de recouvrement lors des opérations de contrôle ou de la phase contradictoire.
En outre, lorsque la charge de la preuve de la conformité à la législation de sécurité sociale des informations déclarées incombe au cotisant, celui-ci doit produire les pièces justificatives au cours du contrôle ou de la phase contradictoire. Tel est notamment le cas de l'application des règles de déduction des frais professionnels (2e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.493), de l'application de la tolérance administrative d'exclusion de l'assiette de cotisations (2e Civ., 7 janvier 2021, pourvoi n° 19-20.035, 19-19.395), en matière de taxation forfaitaire (2e Civ., 14 mars 2019, pourvoi n° 17-28.099), ou d'évaluation forfaitaire des cotisations et contributions dues par une société ayant fait l'objet d'un contrôle de l'inspection du travail en matière de travail dissimulé (2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-25.690, Bull. 2017, II, n° 209).
Ces limitations du droit à la preuve, qui préservent un contrôle juridictionnel suffisant, sont compatibles avec les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention, dès lors que les dispositions législatives et réglementaires précitées régissant la procédure de contrôle garantissent au cotisant une procédure contradictoire au cours de laquelle il dispose de la faculté d'apporter des éléments de preuve tant au stade du contrôle que durant la phase contradictoire et du droit de se faire assister du conseil de son choix et d'émettre des observations sur les chefs de redressement (CEDH, arrêt du 6 novembre 2018, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal, [GC], 55391/13, §§ 178 et suivants).
L'arrêt relève que les inspecteurs du recouvrement ont intégré dans le calcul de l'assiette des cotisations sociales la participation patronale au régime de retraite supplémentaire au titre de la retraite de raccordement après avoir constaté le versement par l'employeur de primes à l'organisme assureur. Il constate que la cotisante a produit une attestation, postérieurement au contrôle, dans le cadre de son recours gracieux, pour justifier de l'absence de versement de primes à ce titre. Il retient que l'absence de concordance entre cette attestation et le contrat collectif de retraite supplémentaire prive de pertinence cet élément de preuve.
De ces constatations et énonciations, dont il ressort que la cotisante pouvait produire, à l'appui de son recours, des pièces qu'elle n'avait pas fournies lors du contrôle ou de la phase contradictoire, la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve débattue devant elle, que l'attestation litigieuse n'était pas de nature à remettre en cause le bien-fondé du chef de redressement contesté. »
Principe : liberté probatoire en justice
La Cour affirme que le droit au procès équitable suppose que le cotisant puisse produire toutes les pièces utiles devant le juge, même si elles n'avaient pas été communiquées à l'URSSAF.
Cela confirme une jurisprudence antérieure (Cass. 2e civ., 12 mai 2022, n° 20-18.077) selon laquelle de nouveaux moyens peuvent être invoqués en contentieux.
Limite : l’interdiction de contourner le contrôle URSSAF
Toutefois, la Cour fixe une limite claire :
- Les cotisants ne peuvent pas produire pour la première fois devant le juge une pièce expressément demandée par l'URSSAF lors du contrôle et non remise à ce moment-là.
Application au cas d’espèce
- La Cour relève que l'attestation produite par l'association ne concordait pas avec le contrat de retraite.
- La cour d'appel, dans son pouvoir souverain, a pu juger cette pièce non pertinente pour écarter le redressement.
- Le pourvoi est donc rejeté.
Portée de l’arrêt : un arrêt de principe en matière de preuve URSSAF
Cet arrêt, publié au Bulletin, constitue une référence jurisprudentielle majeure :
- ✅ Assouplissement : confirmation que de nouvelles pièces peuvent être produites devant le juge.
- ❌ Restriction : interdiction de produire tardivement un document déjà demandé par les inspecteurs.
- ⚖️ Équilibre : conciliation entre le droit à la preuve (art. 6 CEDH) et l'efficacité du contrôle URSSAF (art. R. 243-59 CSS).
Il s'inscrit dans une ligne jurisprudentielle où la Cour de cassation encadre le droit à la preuve en URSSAF :
- frais professionnels (Cass. 2e civ., 24 nov. 2016, n° 15-20.493),
- tolérance administrative (Cass. 2e civ., 7 janv. 2021, n° 19-20.035),
- taxation forfaitaire (Cass. 2e civ., 14 mars 2019, n° 17-28.099),
- travail dissimulé (Cass. 2e civ., 9 nov. 2017, n° 16-25.690).
Conséquences pratiques pour les employeurs, dirigeants et indépendants
- Pendant le contrôle
- Répondre immédiatement à toutes les demandes écrites des inspecteurs.
- Conserver la preuve des documents transmis.
- Après le contrôle
- Devant la CRA ou le juge, il est possible de produire de nouvelles pièces, à condition qu'elles ne fassent pas partie de celles déjà réclamées par l'URSSAF.
- En contentieux
- Le juge apprécie souverainement la pertinence des pièces nouvelles.
- Une attestation ou un document non concordant peut être jugé insuffisant.
Conclusion
L'arrêt du 4 septembre 2025 apporte une clarification décisive : les cotisants conservent une marge de manœuvre probatoire devant le juge, mais ils ne peuvent pas éluder leurs obligations au stade du contrôle.
Cet équilibre protège à la fois le droit à la défense et la légitimité du système déclaratif des cotisations sociales.
Pour aller plus loin
- Lettre d'observations URSSAF : que doit-elle vous dire ?
- Opposition à contrainte URSSAF : guide pratique
- Redressement URSSAF travail dissimulé
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FAQ – Pièces nouvelles et contentieux URSSAF
Peut-on produire de nouvelles pièces devant le juge contre un redressement URSSAF ?
Oui. La Cour de cassation (Cass. 2e civ., 4 sept. 2025, n° 22-17.437) confirme que le cotisant peut produire devant le tribunal des documents qui n'avaient pas été remis à l'URSSAF lors du contrôle ou de la phase contradictoire.
Quelles sont les limites à la production de pièces nouvelles en contentieux URSSAF ?
Il est interdit de produire devant le juge une pièce expressément demandée par les inspecteurs URSSAF au cours du contrôle ou de la phase contradictoire et qui n'a pas été communiquée à ce moment-là.
Le droit à la preuve est-il garanti en matière de contentieux URSSAF ?
Oui. La Cour rappelle que le droit au procès équitable (art. 6 §1 CEDH) inclut le droit pour le cotisant de produire les éléments nécessaires à sa défense. Mais ce droit doit être concilié avec le système déclaratif et les obligations de l'employeur.
Que risque un employeur qui garde un document demandé et le produit seulement en justice ?
La pièce sera écartée par le juge et ne pourra pas être utilisée pour contester le redressement. L'URSSAF conservera alors son avantage probatoire.
Quels conseils pratiques pour les employeurs et indépendants ?
- Répondre à toutes les demandes écrites des inspecteurs URSSAF.
- Conserver la preuve de chaque transmission.
- Produire le plus tôt possible les justificatifs.
- En cas de contentieux, présenter de nouvelles pièces seulement si elles n'ont pas été déjà réclamées par l'URSSAF.
Pourquoi cet arrêt de la Cour de cassation est-il important ?
Parce qu'il fixe un cadre clair :
- ✅ ouverture probatoire devant le juge,
- ❌ impossibilité de contourner les demandes précises de l'URSSAF,
- ⚖️ équilibre entre droit à la preuve et efficacité du contrôle social
[1] Cass. 2e civ., 4 septembre 2025, n° 22-17.437, publié au Bulletin
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