L'URSSAF veut faire payer les donneurs d'ordre pour leurs sous-traitants… mais échoue en justice !
L'URSSAF croit pouvoir utiliser la solidarité financière comme une arme redoutable : vous, donneurs d'ordre, seriez condamnés à payer pour les fautes de vos sous-traitants.
Mais la Cour d'appel de Rouen[1] vient de lui rappeler une vérité simple : on ne condamne pas sans preuves.
En refusant de produire les documents clés du contrôle mené contre le sous-traitant, l'URSSAF a vu tout son redressement s'effondrer.
Cet arrêt n'est pas seulement une victoire pour une société : c'est un signal fort adressé à tous les donneurs d'ordre.
Oui, vous pouvez contester.
Oui, la justice peut vous donner raison.
La solidarité financière du donneur d’ordre : une arme redoutable de l’URSSAF
L'article L. 8222-2 du Code du travail et l'article L. 133-4-5 du Code de la sécurité sociale imposent au donneur d'ordre une obligation de vigilance : vérifier que son sous-traitant est en règle (attestation de vigilance, extrait K-bis).
À défaut, le donneur d'ordre est tenu solidairement au paiement des cotisations et majorations dues par le sous-traitant pris en faute pour travail dissimulé.
C'est sur ce fondement que l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais avait engagé une procédure contre la société intimée, reprochant l'absence d'attestation de vigilance couvrant la période contrôlée.
Les arguments de l’URSSAF
En appel, l'URSSAF plaidait que :
- la lettre d'observations était régulière car signée par ses inspecteurs (art. R. 243-59 CSS),
- le procès-verbal de travail dissimulé du sous-traitant avait bien été produit,
- la solidarité financière était légitimement mise en œuvre, le donneur d'ordre n'ayant pas respecté son obligation de vigilance.
La défense du donneur d’ordre
La société contestait la régularité de la procédure, rappelant que :
- le donneur d'ordre peut soulever les irrégularités affectant la procédure menée contre son sous-traitant (décision du Conseil constitutionnel n° 2015-479 QPC),
- l'URSSAF n'avait produit ni l'avis de contrôle, ni la lettre d'observations, ni la mise en demeure adressés au sous-traitant,
- en l'absence de ces pièces, il était impossible de vérifier la légalité du redressement.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d'appel de Rouen a jugé :
« Aux termes de l'article L. 8222-1 du code du travail, toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum (5 000 euros hors taxe) en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5.
Selon les articles L. 8222-2, alinéa 2, et L. 8222-3 du même code, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l'article L.8222-1, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé. Les sommes dont le paiement est exigible sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.
Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquelles il est tenu.
Il en résulte que le donneur d'ordre peut invoquer, à l'appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l'encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé, dès lors que l'irrégularité constitue une exception commune aux codébiteurs. Il ne peut, en revanche, opposer à l'organisme de recouvrement les irrégularités qui sont personnelles aux autres codébiteurs. Il en est ainsi des éventuelles irrégularités entachant la mise en demeure délivrée au sous-traitant en application de l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale par cet organisme à l'issue des opérations de contrôle et de redressement, dans la mesure où celle-ci constitue la décision de recouvrement à l'encontre de son destinataire et qu'une éventuelle irrégularité de cet acte ne constitue pas une exception commune aux codébiteurs.
L'avis de contrôle et la lettre d'observations que l'Urssaf doit adresser au cocontractant font partie des opérations de contrôle aboutissant au redressement et il convient que l'organisme les produisent aux débats, en cas de contestation, afin de permettre au donneur d'ordre d'invoquer les éventuelles irrégularités les affectant.
A défaut il convient de confirmer le jugement qui a annulé le redressement de la société objet de la mise en demeure du 27 janvier 2022, pour un montant de 5 324 euros, par substitution de motifs. »
La Cour d'appel de Rouen confirme l'annulation du redressement :
- La lettre d'observations adressée au donneur d'ordre est régulière (art. R. 243-59 CSS).
Mais l'URSSAF n'a pas produit l'ensemble des documents relatifs à la procédure contre le sous-traitant, ce qui empêche le donneur d'ordre d'exercer ses droits de défense : « L'avis de contrôle et la lettre d'observations que l'Urssaf doit adresser au cocontractant font partie des opérations de contrôle aboutissant au redressement et il convient que l'organisme les produisent aux débats, en cas de contestation, afin de permettre au donneur d'ordre d'invoquer les éventuelles irrégularités les affectant. »
- Or, le donneur d'ordre doit pouvoir invoquer les irrégularités communes aux codébiteurs.
En conséquence, le redressement est annulé et l'URSSAF condamnée à rembourser la somme de 5 324 €, avec intérêts légaux, ainsi qu'à payer 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Enseignements pour les donneurs d’ordre
Cette décision illustre deux points essentiels :
- La vigilance documentaire est impérative : les donneurs d'ordre doivent exiger régulièrement les attestations de vigilance et K-bis de leurs sous-traitants.
- Les droits de la défense sont protégés : un donneur d'ordre peut contester la régularité de la procédure visant son sous-traitant. L'URSSAF a l'obligation de produire les pièces relatives au contrôle du sous-traitant :
« L'avis de contrôle et la lettre d'observations que l'Urssaf doit adresser au cocontractant font partie des opérations de contrôle aboutissant au redressement et il convient que l'organisme les produisent aux débats, en cas de contestation, afin de permettre au donneur d'ordre d'invoquer les éventuelles irrégularités les affectant. »
Conclusion
La solidarité financière reste un outil redoutable entre les mains de l'URSSAF. Mais son application ne peut se faire au mépris des droits fondamentaux du donneur d'ordre. La Cour d'appel de Rouen rappelle ici que l'URSSAF doit démontrer la régularité de l'ensemble de la procédure, y compris à l'encontre du sous-traitant, faute de quoi le redressement est voué à l'annulation.
Donneurs d’ordre, défendez-vous !
Vous êtes donneur d'ordre et l'URSSAF vous réclame des cotisations pour les fautes de vos sous-traitants ?
👉 Consultez Maître Eric ROCHEBLAVE, avocat spécialiste en droit du travail et de la sécurité sociale : www.rocheblave.org
[1] Cour d'appel de Rouen, 11 juillet 2025, n° 23/03477
Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
Eric ROCHEBLAVE
PORTRAIT D'UN SPECIALISTE
Parcours, succès judiciaires, avis clients, revue de presse…
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/
Lauréat de l'Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier
Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier
DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d'Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d'Informatique Juridique
Vos avis sur Maître Eric ROCHEBLAVE