Télétravail : l’employeur ne peut pas imposer le retour du salarié en présentiel sans son accord

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Depuis 2009, un salarié exerçait son activité de prospection de clientèle depuis domicile sous forme de télétravail. Il ne se rendait que très occasionnellement au siège de l’entreprise.

En 2017, son employeur lui a demandé d’être présent dans les locaux de l’entreprise deux jours complets par semaine aux motifs que le marché se dégradait, de même que l’activité de ce dernier les derniers mois, soulignant que des résultats insuffisants par rapport à ses objectifs étaient constatés.

Estimant que ce changement d’organisation ne pouvait pas se faire sans son accord, le salarié a saisi le Conseil de Prud’hommes de Tours d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat

Devant le Conseil de Prud’hommes de Tours, puis devant la Cour d’appel d’Orléans, le salarié a soutenu que l’employeur a interrompu brutalement la possibilité pour lui de bénéficier d’un télétravail, mis en place depuis 2009, alors qu’il était connu de l’employeur qu’il ne résidait pas dans le même département que le siège de l’entreprise depuis 2009.

Le salarié a précisé qu’il se rendait habituellement deux fois par an seulement au siège de l’entreprise et qu’on lui a brusquement demandé d’y passer deux jours par semaine, et notamment le lundi, ce qui l’obligeait à voyager le dimanche. Il ajoutait qu’aucune formalisation d’un accord entre les parties n’est intervenue sur la mise en place du télétravail, mais que cet accord pouvait être verbal, au visa de l’article L.1222-9 du code du travail et qu’une telle modification ne pouvait être décidée sans son agrément, de sorte que l’employeur aurait dû, si cette modification s’imposait pour des raisons économiques, mettre en œuvre la procédure de modification de son contrat de travail prévue par l’article L.1222-6 du code du travail.

L’employeur a répliqué qu’aucun télétravail n’avait été mis en place de sorte que la règlementation afférente ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où il ne s’agissait en rien d’exécuter à domicile un travail qui aurait pu être accompli dans les locaux de l’employeur, et nécessitant l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, comme le prévoit l’article L.1222-9 du code du travail. Il a ajouté qu’il n’a jamais bénéficié d’un mode d’organisation spécifique qui aurait été mis en place par l’employeur et que la présence régulière de l’intéressé dans l’entreprise était nécessaire, pour permettre les échanges indispensables, la même organisation étant prévue pour l’ensemble de l’équipe commerciale. Elle précise qu’il a été demandé au salarié d’être plus présent dans l’entreprise pour permettre une amélioration de ses résultats, sans que la procédure de modification du contrat de travail ait à être respectée, puisque le contrat de travail n’était en rien modifié, que les déplacements et l’hébergement du salarié étaient organisés et pris en charge par l’équipe et que le salarié s’en est montré, dans un premier temps, satisfait.

La Cour d’appel d’Orléans a constaté au premier chef que le contrat de travail signé entre les parties ne prévoit aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail.

Par ailleurs, pour la Cour d’appel d’Orléans, il est constant que depuis 2009 le salarié ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, effectuant ses démarches commerciales chez les clients et communiquant avec son employeur à distance. Aucune explication n’apparait lui avoir été demandée sur ce point. Il y a lieu par conséquent de retenir que l’employeur a accepté, pendant plusieurs années, ce mode d’organisation du travail. Ainsi, le salarié a pu établir son domicile fort loin du siège de l’entreprise, sans que l’employeur n’affirme l’avoir ignoré.

Pour la Cour d’appel d’Orléans[1], alors qu’il avait accepté pendant plusieurs années que le salarié ne se rende qu’épisodiquement au siège de l’entreprise, l’employeur a modifié un élément essentiel du contrat de travail en lui imposant d’être présent au siège deux jours par semaine, les lundis et mardis. Cette modification du lieu d’exécution de la prestation de travail était de nature à bouleverser non seulement l’organisation professionnelle du salarié mais également ses conditions de vie personnelle puisqu’elle le contraignait à dormir à l’hôtel deux nuits par semaine et à voyager le dimanche. Cette modification du contrat de travail ne pouvait être unilatéralement décidée par l’employeur.

Le salarié était donc en droit de refuser la mise en place de la modification litigieuse.

Dans ces conditions, pour la Cour d’appel d’Orléans, la poursuite du contrat de travail s’est avérée impossible dans les conditions nouvellement imposées par l’employeur, sur lesquelles il n’est aucunement revenu avant la rupture du contrat de travail, et malgré les protestations du salarié. Ce manquement, à lui seul, justifie la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

 

 

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Cette décision de la Cour d’appel d’Orléans va dans le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a, en effet, jugé qu’alors que le salarié effectuait son travail administratif à son domicile et que le fait pour l’employeur de lui imposer de se rendre désormais deux jours par semaine au siège de la société situé à plus de 200 km pour exécuter ce travail constituait une modification de son contrat que le salarié était en droit de refuser, ce dont il résultait qu’il ne pouvait se voir reprocher une faute grave[2].

La Cour de cassation  a également jugé que lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié ; ayant constaté que les parties étaient convenues que le salarié travaillerait à son domicile, ce qu’il avait fait pendant douze années, la Cour d’appel de Paris a pu décider que le fait pour l’employeur de lui imposer de travailler désormais au siège de la société constituait une modification du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser[3].

Cette solution prévaut même en présence d’une clause de mobilité.

La Cour de cassation rappelle que lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié (…) le fait pour l’employeur de lui imposer de travailler désormais tous les jours de la semaine au siège de la société constituait, peu important l’existence d’une clause de mobilité, une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser[4].

Toutefois, la solution peut être différente en cas de mise en place d’un accord collectif ou de charte sur le télétravail.

En effet, aux termes de l’article L 1222-9 II du Code du travail, « L’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur précise (…) les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ; »

[1] Cour d’appel d’Orléans – ch. Sociale 7 décembre 2021 / n° 19/01258

[2] Cour de Cassation, Chambre sociale, du 13 avril 2005, 02-47.621

[3] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 février 2013, 11-22.360

[4] Cour de Cassation, Chambre sociale, du 31 mai 2006, 04-43.592

Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

 Eric ROCHEBLAVE
PORTRAIT D’UN SPECIALISTE
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Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
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