Un adultère peut-il justifier la rupture d'un contrat de travail ?
Un fait tiré de la vie personnelle d'un salarié peut-il fonder une mesure disciplinaire ou un licenciement ?
La Cour de cassation répond non, sauf manquement contractuel caractérisé.
Dans un arrêt récent[1], la Cour de cassation réaffirme la protection du salarié contre toute intrusion dans sa vie intime.
Une liaison adultère révélée, un licenciement imposé
Une salariée entretenait une relation amoureuse avec le président de l'entreprise.
L'épouse de ce dernier — également directrice générale — découvre cette liaison et exige alors le licenciement immédiat de la salariée.
Celle-ci est licenciée pour faute grave.
La lettre de licenciement énumère divers griefs liés au comportement professionnel, mais aucun n'est établi.
La cour d'appel de Versailles, tout en reconnaissant l'absence de cause réelle et sérieuse, refuse de prononcer la nullité du licenciement.
Elle considère notamment que la salariée a elle-même versé aux débats ses échanges de SMS avec le président et que, dès lors, l'atteinte à sa vie privée ne revêt pas une gravité suffisante pour entraîner la nullité.
Le rappel ferme de la Cour de cassation
La Cour de cassation censure cette décision.
Elle rappelle que la rupture du contrat reposait en réalité sur un fait tiré de l'intimité de la salariée.
En l'absence de tout manquement contractuel établi, un tel motif ne peut fonder un licenciement, sous peine de nullité pour violation d'une liberté fondamentale.
Elle fonde sa décision en ces termes :
« Il résulte des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
Il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, L. 1121-1 que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée et que l'employeur ne peut, sans violation de cette liberté fondamentale, fonder un licenciement sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée du salarié.
Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail est nul le licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale.
Pour écarter la nullité du licenciement, la cour d'appel de Versailles retient, d'une part, que la lettre de licenciement pour faute grave fait état de divers manquements dans l'exécution du contrat de travail et griefs relatifs au comportement de la salariée sans faire aucune mention d'un grief en relation avec sa vie privée ou constituant une atteinte au respect de celle-ci et, d'autre part, que la salariée a elle-même diffusé, dans le cadre de la procédure, les SMS échangés entre elle-même et le président de la société, de sorte que si cette atteinte est établie, elle rend simplement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul.
Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu qu'aucun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'était établi et que la véritable cause du licenciement était la découverte, le 28 mars 2019, par l'épouse du président de la société, elle-même directrice générale de celle-ci, de la liaison qu'entretenait son mari avec la salariée depuis plusieurs mois et l'ultimatum qu'elle lui avait posé de la licencier immédiatement, ce dont elle aurait dû déduire que le licenciement était fondé sur un fait relevant de l'intimité de la vie privée de la salariée, de sorte qu'il était atteint de nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Un contraste avec la gestion managériale américaine : l’affaire Astronomer
Cette décision française peut être comparée à une affaire récente survenue aux États-Unis, impliquant l'entreprise Astronomer, spécialisée dans les solutions de traitement de données.
Le 16 juillet 2025, son CEO, Andy Byron, a été filmé par la « kiss cam » lors d'un concert de Coldplay, en train d'embrasser Kristin Cabot, Chief People Officer de l'entreprise.
Tous deux sont mariés, et leur relation n'avait pas été déclarée à la direction. La vidéo, rapidement virale, a provoqué une vive réaction publique.
La société a immédiatement ouvert une enquête interne et suspendu le dirigeant à titre conservatoire.
Trois jours plus tard, il présentait sa démission, acceptée par le conseil d'administration, au motif qu'il n'avait pas respecté les standards de conduite et de responsabilité attendus à son niveau de fonctions.
Dans cette affaire, aucune faute contractuelle n'a été caractérisée.
La rupture du mandat s'est opérée exclusivement au regard des impératifs d'éthique, d'image et de gouvernance.
Deux conceptions radicalement différentes
La comparaison de ces deux situations met en lumière un clivage fondamental :
En droit français
La vie privée du salarié est protégée par la loi et la jurisprudence.
Un licenciement fondé uniquement sur un fait intime est nul.
Une relation consentie ne constitue pas une faute, sauf manquement objectif.
En pratique américaine
La vie privée d'un dirigeant peut être encadrée par des politiques internes.
Une rupture peut être motivée par une atteinte à l'image de l'entreprise.
Une relation hiérarchique peut suffire à justifier une démission forcée.
Conclusion
En droit français, un adultère ne peut en soi justifier la rupture d'un contrat de travail.
Même lorsqu'elle perturbe les équilibres internes ou affecte des relations professionnelles, une relation sentimentale demeure protégée par le droit au respect de la vie privée.
Seule la preuve d'un manquement aux obligations contractuelles permettrait d'écarter cette protection.
[1] Cour de cassation 4 juin 2025 Pourvoi n° 24-14.509
Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
Eric ROCHEBLAVE
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