Obligation de vigilance du donneur d’ordre : comment contester la solidarité financière réclamée par l’URSSAF du travail dissimulé de vos sous-traitants ?

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Qu’est-ce que l’obligation de vigilance du donneur d’ordre ?

L’article L.8222-1 du code du travail dispose :

« Toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2° de l’une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants.

Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret.»

Dès lors le donneur d’ordre qui a recours à un sous-traitant a l’obligation de vérifier, lors de la conclusion du contrat dont l’objet porte sur un montant minimum de 3 000 euros, et tout au long de l ‘exécution de ce contrat, que son cocontractant s’acquitte des formalités comprenant l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, les déclarations auprès des organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur et, en cas d’embauche de salariés, la déclaration préalable à l’embauche et la délivrance de bulletins de paie mentionnant le nombre réel d’heures de travail accompli.

En application de l’article D.8222-5 du code du travail, « la personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution :

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants :

a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;

b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription. »

En application de l’article D.243-15 du code de la sécurité sociale, « Lorsque le cocontractant emploie des salariés, l’attestation prévue à l’article L. 243-15 mentionne l’identification de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarés au cours de la dernière période ayant donné lieu à la communication des informations prévue au deuxième alinéa du I de l’article R. 133-13.

La contestation des cotisations et contributions dues devant les juridictions de l’ordre judiciaire ne fait pas obstacle à la délivrance de l’attestation. Toutefois, l’attestation ne peut pas être délivrée quand la contestation fait suite à une verbalisation pour travail dissimulé.

L’attestation est sécurisée par un dispositif d’authentification délivré par l’organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales. Le donneur d’ordre vérifie l’exactitude des informations figurant dans l’attestation transmise par son cocontractant par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de cet organisme au moyen d’un numéro de sécurité. »

Depuis le 1er janvier 2014, le donneur d’ordre peut procéder sur le site urssaf. fr à la vérification de la validité du document qui lui a été remis, qui mentionne l’identification de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarées au cours de la dernière période. Ces informations permettent au donneur d’ordre d’apprécier l’adéquation entre le nombre de salariés déclarés et l’ampleur du travail confié.

Le donneur d’ordre doit s’assurer de la validité de l’attestation de vigilance de son sous-traitant.

L’obligation de vigilance du donneur d’ordre n’est pas seulement formelle.

Le donneur d’ordre doit activement vérifier l’authenticité de l’attestation de vigilance que lui délivre son sous-traitant.

L’absence de production par le donneur d’ordre d’un seul des documents authentifiés prévus par l’article D.8222-5 du code du travail démontre son manque de vigilance, et sa bonne ou mauvaise foi est ici indifférente.

Il en résulte que la solidarité financière est actionnée à bon droit par l’URSSAF.

Cour d’appel de Paris – Pôle 06 ch. 13 9 avril 2021 / n° 18/03578

Quelle procédure l’URSSAF doit-elle respecter pour actionner votre solidarité financière et comment vous défendre ?

A l’occasion d’un contrôle aux fins de recherches des infractions le travail dissimulé les inspecteurs de l’URSSAF peuvent étudier les comptes de l’un de vos sous-traitants.

Un procès-verbal de travail dissimulé est établi et transmis au Parquet.

L’URSSAF identifie ses donneurs d’ordres, parmi lesquels votre entreprise.

Considérant que vous ne justifiez pas avoir vérifié la situation juridique et administrative de votre sous-traitant, les inspecteurs du recouvrement peuvent mettre en œuvre la solidarité financière en application des articles L.8222-1 et suivants du code du travail.

C’est par une lettre d’observations que l’URSSAF met à votre charge au titre de la solidarité financière les cotisations non réglées par votre sous-traitant au prorata de sa facturation.

L’URSSAF établi à votre encontre une lettre d’observations vous avisant de la mise en œuvre de la solidarité financière prévue par l’article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations estimées dues, en suite d’un procès-verbal de travail dissimulé établi à l’encontre de l’un de vos cocontractants.

La lettre d’observations de l’URSSAF doit être parfaitement claire et motivée.

Elle doit rappeler les éléments qui caractérisent votre manquement à votre devoir de vigilance et déterminer le montant des sommes mises à votre charge au prorata de votre facturation.

De façon contradictoire, vous pouvez faire part à l’URSSAF de vos observations auxquelles l’organisme de recouvrement répondra.

A ce stade de la procédure, la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier pare l’URSSAF du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant.

Malgré votre lettre de contestation, l’URSSAF peut vous répondre en maintenant que vous n’avez pas satisfait à votre devoir de vigilance et en confirmant intégralement sa lettre d’observation.

La phase contradictoire est alors achevée et l’URSSAF peut vous adresser une mise en demeure de lui verser une somme.

La mise en demeure doit faire référence à la lettre d’observations, exposer la nature, la cause et l’étendue de vos obligations.

La mise en demeure doit préciser que vous disposez d’un délai d’un mois pour vous libérer de votre dette et vous indiquer les modalités de saisine de la commission de recours amiable.

Vous pouvez saisir la commission de recours amiable, puis en l’état du rejet implicite ou explicite de votre recours, vous pouvez saisir le Pôle Social du Tribunal Judiciaire afin de contester la mise en œuvre de la solidarité financière.

L’URSSAF doit verser au débat judiciaire le procès-verbal de travail dissimulé

La verbalisation pour travail dissimulé constitue la condition préalable à la recherche de la solidarité du donneur d’ordre.

Ce procès-verbal doit être versé au débat  judiciaire par l’URSSAF

Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Selon le deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, le donneur d’ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l’article L. 8222-1 du même code, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.

Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

Si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document.

Faute pour l’URSSAF de produire devant le Pôle Social du Tribunal Judicaire, l’URSSAF le procès-verbal de constat d’une infraction de travail dissimulé à l’encontre du sous-traitant, elle n’est pas fondée à mettre en œuvre la solidarité financière.

Cass. civ. 2, 08-04-2021, n° 20-11.126
Cass. civ. 2, 08-04-2021, n° 19-23.728

Quels montants l’URSSAF peut-elle réclamer au donneur d’ordre ?

En l’absence d’éléments comptables permettant d’identifier avec précision et de façon probante l’origine et la destination des flux financiers de votre sous-traitant, l’URSSAF a fait application d’une taxation forfaitaire conformément aux dispositions de l’article R.242-5 du code de la sécurité sociale.

L’URSSAF évalue d’abord le chiffre d’affaires total réalisé par votre sous-traitant, puis le chiffre d’affaire réalisé par celui-ci en qualité de votre sous-traitant, pour aboutir à un pourcentage d’activité caractérisant le prorata des travaux réalisés par votre sous-traitant pour votre compte.

Il s’agit du seul mode de calcul possible en pareille situation et il est conforme aux dispositions de l’article L.8222-3 du code du travail.

Il est indifférent que l’URSSAF procède à des calculs toutes taxes confondues, et non hors taxe, puisque tous les montants relevés sur les relevés bancaires sont également exprimés en TTC. Le calcul est global et forfaitaire.

Pour contrôler le chiffrage opéré par l’URSSAF, il vous suffit de consulter votre propre comptabilité.

Cour d’appel de Paris – Pôle 06 ch. 13 9 avril 2021 / n° 18/03578

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/