La lettre d’observations de solidarité financière pour travail dissimulé du sous-traitant doit être signée par le directeur de l’URSSAF

 




 

Il résulte de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale que les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général ont compétence pour contrôler l’application des dispositions de ce code, et l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale définit les conditions dans lesquelles doivent s’effectuer ces contrôles.

Les articles L.8271-1 et suivants du code du travail organisent la recherche et la constatation des infractions constitutives du travail illégal au nombre desquelles le délit de travail dissimulé, et les dispositions alors applicables de l’article L.8271-8-1 du code du travail (devenu L.8271-6-4) font obligation aux agents de contrôle mentionnés à l’article L.8271-1-2 de communiquer leurs procès-verbaux de travail dissimulé aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L.213-1 et L. 752-1 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime, qui procèdent à la mise en recouvrement des cotisations et contributions qui leur sont dues sur la base des informations contenues dans lesdits procès-verbaux.

L’article L.8271-1-2 4° du code du travail liste parmi les agents de contrôle compétents, « les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à cet effet et assermentés ».

Aux termes de l’article R.133-8-1 du code de la sécurité sociale, « lorsqu’il ne résulte pas d’un contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 du présent code ou de l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, tout redressement consécutif à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 133-4-5 est porté à la connaissance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage par un document signé par le directeur de l’organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Ce document rappelle les références du procès-verbal pour travail dissimulé établi à l’encontre du cocontractant, précise le manquement constaté, la période sur laquelle il porte et le montant de la sanction envisagé.

Ce document informe également la personne en cause qu’elle dispose d’un délai de trente jours pour présenter ses observations par tout moyen permettant de rapporter la preuve de leur date de réception et qu’elle a la faculté de se faire assister par une personne ou un conseil de son choix. A l’expiration de ce délai et, en cas d’observations du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage, après lui avoir notifié le montant de la sanction, le directeur de l’organisme de recouvrement met en recouvrement les sommes dues selon les règles et sous les garanties et sanctions applicables au recouvrement des cotisations de sécurité sociale. »

Aux termes de l’article L.133-4-5, « I. – Lorsqu’il est constaté que le donneur d’ordre méconnaît l’une des obligations définies à l’article L. 8222-1 du code du travail et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié, l’organisme de recouvrement procède à l’annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés. Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage encourt la même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu’il est constaté qu’il a manqué à l’obligation mentionnée à l’article L. 8222-5 du code du travail.

L’annulation s’applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est calculée selon les modalités prévues à l’article L. 133-4-2. Lorsqu’il est fait application du III du même article L. 133-4-2, pour le calcul de la proportion des réductions et exonérations annulées prévu au second alinéa du même III, les rémunérations des salariés du donneur d’ordre sont substituées à celles des salariés de la personne contrôlée.

– L’annulation des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions est plafonnée à hauteur du montant total des sommes mentionnées aux articles L. 8222-2 et L. 8222-3 du code du travail dues aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du présent code et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime.

Lorsqu’il n’a été procédé à aucune annulation contre le donneur d’ordre dans les cinq ans qui précèdent le constat du manquement, le plafond mentionné au premier alinéa du présent II est réduit à 15 000 € pour une personne physique et à 75 000 € pour une personne morale, sauf si le plafond prévu au même premier alinéa est inférieur à ces montants.

III. – Les modalités d’application du présent article, en particulier la manière dont est assuré le respect du principe du contradictoire, sont déterminées par décret en Conseil d’Etat. »

Il résulte donc de l’ensemble de ces dispositions une autonomie de la procédure de contrôle dite de droit commun fondée sur les dispositions de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale par rapport à celle qui l’est sur les articles L.8271-1 et suivants du code du travail, conduisant les organismes de recouvrement à procéder à des redressements de cotisations pour travail dissimulé.

Les dispositions de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale ne s’appliquent qu’aux contrôles engagés par les organismes de recouvrement sur le fondement de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale et des textes pris en application.

Le contrôle ayant pour objet la recherche d’infractions aux interdictions de travail dissimulé n’a pas la nature d’un contrôle de droit commun, dés lors qu’il s’inscrit spécifiquement dans le cadre de dispositions du code du travail.

Il s’ensuit que le critère de distinction entre les deux types de contrôle, n’est pas tiré de la participation d’agents de l’Urssaf au contrôle mais résulte exclusivement de sa nature.

La circonstance que le contrôle soit conjoint, avec participation d’agents assermentés de l’Urssaf, est donc indifférente, dés lors qu’il a pour objet la recherche d’infractions de travail dissimulées, prévues par l’article L.8221-1 du code du travail, il est soumis aux règles spécifiques applicables et non point aux dispositions de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale.

La solidarité financière du donneur d’ordre relève des dispositions procédurales de l’article R.133-8-1 du code de la sécurité sociale, que ce soit pour la notification initiale de sa mise en œuvre ou pour les conséquences de celle-ci pour la notification de l’annulation des exonérations et réductions. Le redressement est nécessairement fondé sur les dispositions des L.8222-2 du code du travail et L.133-4-5 du code de la sécurité sociale.

Lorsque la lettre d’observations est consécutive à un contrôle ayant conduit à l’établissement du procès-verbal de travail dissimulé, s’inscrivant dans le cadre spécifique de la recherche d’infractions de travail dissimulé, et les dispositions de l’article L.8221-1 du code du travail, peu important à cet égard que d’autres infractions à la législation sur le séjour d’étrangers aient pu être relevées, le contrôle à l’origine de ce redressement n’a pas été initié par l’Urssaf dans le cadre des dispositions de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale mais dans celui de la recherche d’infractions de travail dissimulé, c’est à dire des dispositions du code du travail ; lorsque l’Urssaf n’a pas initié un contrôle dans le cadre de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale mais a procédé à ce redressement dans le cadre spécifique des articles L.8222-1 et suivants du code du travail relatif au travail dissimulé ; lorsque la lettre d’observation ne précise pas que le contrôle dans le cadre duquel a été dressé le procès-verbal de travail dissimulé a été effectué dans le cadre d’un contrôle relevant de ces dispositions articles L.243-7 et R.243-59 du code de sécurité sociale, auxquelles elles ne font pas davantage référence ; lorsqu’il est constaté que cette lettre d’observation n’est signée que par l’inspecteur du recouvrement, et non point par le directeur de l’organisme, en violation avec les dispositions applicables de l’article R.133-8-1 du code de la sécurité sociale.

L’exigence de la signature de la lettre d’observations par le directeur de l’organisme a pour conséquence de lui conférer qualité et capacité pour signer les lettres d’observations portant sur la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre comme sur les conséquences en découlant relatives à l’annulation des exonérations.

Il s’ensuit que l’absence de signature de la lettre d’observations par le directeur de l’organisme ne constitue pas, comme allégué par l’Urssaf, une irrégularité de forme d’un acte de procédure relevant des dispositions de l’article 114 du code de procédure civile mais une irrégularité de fond.

L’inspecteur du recouvrement n’ayant pas qualité pour signer les deux lettres d’observations litigieuses, l’annulation des mises en demeure subséquentes dont elles sont le support est justifiée[1].

***

Lorsque la lettre d’observations fait état de « l’annulation des exonérations du donneur d’ordre non vigilant suite au constat de travail dissimulé du sous-traitant » et des dispositions du code du travail relatives au travail dissimulé, il est acquis que le contrôle a été opéré sur des considérations liées au travail dissimulé.

Il s’en déduit que les obligations de forme prévues par l’article R.133-8 et R.133-8-1 du code de la sécurité sociale s’imposaient, en conséquence de quoi la lettre d’observations devait être signée par le directeur de l’URSSAF et non par les inspecteurs du recouvrement.

La première page de la lettre d’observations que vous avez reçu de l’URSSAF vise l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale et désigne l’objet du contrôle comme étant la « recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées à l’article L.8221-1 du code du travail. »

 

C’est donc manifestement en votre seule qualité alléguée de donneur d’ordre non vigilant que vous vous êtes vue notifier cette lettre d’observations.

Votre redressement est consécutif à la mise en œuvre de l’article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale qui prévoit l’annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés alors qu’il a méconnu l’une des obligations définies aux articles L.8222-1 et L.8222-5 du code du travail.

En effet, la lettre porte sur un unique chef de redressement, qui correspond précisément aux prévisions de l’article L.133-4-5, au demeurant expressément visé au titre des textes applicables.

C’est donc dans le cadre de ces dispositions particulières, et non dans le cadre d’un contrôle de droit commun prévu par l’article L.243-7, ayant pour objet la vérification de l’application des dispositions du code de la sécurité sociale, que s’inscrit spécifiquement le contrôle réalisé par l’URSSAF, ce nonobstant la mention, purement formelle, de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale en première page de la lettre d’observations.

Le contrôle ayant abouti à votre redressement ayant donc été conduit en application de l’article L.133-4-5, l’URSSAF était tenue de se conformer aux dispositions de l’article R.133-8-1, qui impose en particulier que le redressement soit porté à la connaissance du donneur d’ordre par un document signé par le directeur de l’organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Or il apparaît que la lettre d’observations portant le redressement à votre connaissance n’a pas été signée par le directeur de l’organisme de recouvrement, mais par Mme [A] et M.[B] en leur qualité d’inspecteurs du recouvrement.

Les inspecteurs du recouvrement n’ayant pas qualité ni capacité, au contraire du directeur de l’organisme de recouvrement, pour signer la lettre d’observations notifiant un redressement fondé sur l’annulation des exonérations du donneur d’ordre non vigilant, et l’URSSAF ne se prévalant pas d’une délégation de signature valablement consentie au profit des inspecteurs signataires, ladite lettre est entachée d’une irrégularité de fond qui justifie son annulation, ainsi que celle des actes subséquents dont elle est le support.

Le redressement notifié par la lettre d’observations sera par conséquent annulé[2].

***

 

La  Cour constate que la lettre d’observations adressée le 22 octobre 2014 à la société [X] mentionne à la rubrique objet du contrôle : ‘ recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées à l’article L 8221-1 du code du travail.

Il résulte de ce document que le seul motif du redressement est celui résultant de l’infraction de travail dissimulé constatée par les agents de l’Urssaf qui en ont dressé procès-verbal le 22 octobre 2014 après avoir constaté l’infraction le 14 juin 2013.

De même, la lettre d’observations adressée le 2 avril 2015 à la société [Y] indique qu’elle est redevable de la solidarité financière en raison de l’infraction de travail dissimulé commise par la société [X] dont les cotisations et majorations non réglées par elle résultent du procès-verbal de travail dissimulé sus-visé.

De ces constatations, il ressort que le redressement opéré par l’Urssaf à l’égard de la société [X] procédait d’opérations visant à constater des infractions constitutives de travail dissimulé de sorte que les agents de l’Urssaf devaient suivre la procédure de redressement prévue à l’article R133-8 du code de la sécurité sociale.

Selon ce texte, dans sa rédaction applicable au litige, lorsqu’il ne résulte pas d’un contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 du présent code ou de l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, tout redressement consécutif au constat d’un délit de travail dissimulé est porté à la connaissance de l’employeur ou du travailleur indépendant par un document daté et signé par le directeur de l’organisme de recouvrement, transmis par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Le non-respect de ces dispositions constitue une irrégularité de fond rendant nulle la procédure de redressement sans que soit exigée la preuve d’un préjudice[3].

En l’espèce, la lettre d’observations adressée à la société [X] n’est pas signée du directeur de l’Urssaf mais des inspecteurs du recouvrement ayant constaté l’infraction de travail dissimulé.

Il en résulte que la procédure de redressement engagée contre la société [X] est entâchée de nullité et que, par voie de conséquence, celle diligentée au titre de la solidarité financière à l’encontre de la société [Y] est nulle.

La lettre d’observations du 2 avril 2015 et la mise en demeure du 21 mai 2015 notifiées à la société [Y] au titre de la procédure de solidarité financière seront, en conséquence, annulées[4].

 

 

 

[1] Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8 – 16 juin 2023 – n° 21/14805

[2] Cour d’appel de Riom – Chambre pôle social 12 mars 2024 / n° 21/01624

[3] Cass, 2° Civ. 7 septembre 2023, pourvoi n°21-20.657

[4] Cour d’appel de Bordeaux – CHAMBRE SOCIALE SECTION B – 25 janvier 2024 – n° 23/00746




Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

 Eric ROCHEBLAVE
PORTRAIT D’UN SPECIALISTE
Parcours, succès judiciaires, avis clients, revue de presse…

Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d’Informatique Juridique

Vos avis sur Maître Eric ROCHEBLAVE