En cas de litiges au travail, les enregistrements clandestins sont-ils désormais autorisés comme preuves ?

 

En décembre dernier, le droit à la preuve a légèrement évolué en faveur des preuves jugées illicites ou déloyales jusqu’alors. Aussi, peut-on désormais filmer ou enregistrer clandestinement ses collègues, ou son supérieur hiérarchique pour s’en servir comme preuve ? La réponse n’est pas si simple… Explications d’Eric Rocheblave, avocat spécialisé en Droit du travail.
Courrier Cadres

 

 

« Suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme (v. notamment CEDH, arrêt du 10 octobre 2006, L.L. c. France, n° 7508/02), la Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi (Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-10.606, Bull. 2007, IV, n° 130 ; 1re Civ., 5 avril 2012, pourvoi n° 11-14.177, Bull. 2012, I, n° 85 ; Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016, V, n° 209 ; Soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, Bull. ; Soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, Bull. ; Soc. 8 mars 2023, pourvoi n° 21-17.802, Bull.).

Sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du code de procédure civile et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Cour de cassation juge néanmoins qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manoeuvre ou un stratagème (Ass. plén. 7 janvier 2011, pourvoi n° 09-14.316, Bull. 2011, Ass. plén., n° 1 ; 2e Civ., 9 janvier 2014, pourvoi n° 12-17.875 ; 2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.387 ; Com., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-14.669 ; Com., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-14.670 ; Soc., 18 mars 2008, pourvoi n° 06-40.852, Bull. 2008, V, n° 65 ; Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-30.266, Bull. 2012, V, n° 208).

Cette solution est fondée sur la considération que la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité.

L’application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.

La Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Elle ajoute que « l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, n° 65087/01).

En matière pénale, la Cour de cassation considère qu’aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (v. notamment, Crim., 11 juin 2002, pourvoi n° 01-85.559, Bull. crim. 2002, n° 131), le principe de loyauté de la preuve s’imposant, en revanche, aux agents de l’autorité publique (Ass. plén., 10 novembre 2017, pourvoi n° 17-82.028, Bull. crim. 2017, Ass. plén., n° 2).

Enfin, soulignant la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites, et relevant le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile, une partie de la doctrine suggère un abandon du principe de l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.

Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648

 

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Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

 Eric ROCHEBLAVE
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Parcours, succès judiciaires, avis clients, revue de presse…

Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d’Informatique Juridique

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