Une salariée de la RATP n’est pas fautive de refuser de dire « je le jure » en raison de sa foi chrétienne

 

Mme [Y] a été engagée le 25 septembre 2006 par la RATP en qualité de stagiaire, au sens du statut du personnel, pour exercer une mission de quatre mois au sein de la cellule de contrôle de la mesure, puis à compter du 5 février 2007 en tant qu’animateur agent mobile au sein d’une unité opérationnelle du département. Son admission définitive dans le cadre permanent de la RATP était subordonnée à son assermentation.

Le 5 septembre 2007, la RATP lui a fait parvenir une convocation devant le tribunal de grande instance, pour l’audience du 28 septembre suivant, en vue de son assermentation en application de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer.

 A l’audience du 28 septembre 2007, le président du tribunal de grande instance a fait acter au procès-verbal que Mme [Y] ’’indique au tribunal que sa religion (chrétienne) lui interdit de prêter le serment prévu par la loi. Serment n’a donc pas été prêté’’.

Par lettre du 12 novembre 2007, la salariée a été licenciée au motif qu’elle avait refusé de prêter le serment prévu par la loi, qu’en conséquence elle ne pouvait obtenir son assermentation et que ces faits fautifs ne permettaient pas son admission définitive dans le cadre permanent de la RATP.

Soutenant qu’elle avait refusé de prononcer la formule du serment en raison de ses convictions religieuses et qu’elle avait proposé une autre formule, conforme à sa religion chrétienne, ce que le président du tribunal de grande instance avait refusé, la salariée a saisi la juridiction prud’homale, le 16 décembre 2011, de demandes en paiement de sommes à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour préjudice moral.

La cour de cassation a jugé que la salariée « n’avait commis aucune faute en sollicitant, lors de l’audience de prestation de serment, la possibilité de substituer à la formule ’’je le jure’’ celle d’un engagement solennel, ce dont il résultait que le licenciement, prononcé pour faute au motif de son refus de prêter serment et de l’impossibilité consécutive d’obtenir son assermentation, s’il n’était pas nul comme n’ayant pas été prononcé par l’employeur en raison des convictions religieuses de la salariée, était sans cause réelle et sérieuse »

En effet, selon l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de sa part quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci (GC, 1er juillet 2014, SAS c. France, n° 43835/11, § 127).

La liberté de manifester ses convictions religieuses comporte aussi un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé de faire état de sa confession ou de ses convictions religieuses et de ne pas être contraint d’adopter un comportement duquel on pourrait déduire qu’il a – ou n’a pas – de telles convictions. Il n’est pas loisible aux autorités étatiques de s’immiscer dans la liberté de conscience d’une personne en s’enquérant de ses convictions religieuses ou en l’obligeant à les manifester, et spécialement à le faire, notamment à l’occasion d’une prestation de serment, pour pouvoir exercer certaines fonctions (Alexandridis c. Grèce, n° 19516/06, 21 février 2008, § 38 ; Dimitras et autres c. Grèce, n° 42837/06 et a., 3 juin 2010, § 78).

Arrêt n° 965 du 7 juillet 2021 (20-16.206) – Cour de cassation – Chambre sociale

 

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
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