L’absence de production par l’URSSAF du procès-verbal pour délit de travail dissimulé interdit la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre




La mise en œuvre de la solidarité du donneur d’ordre implique la réunion de trois conditions cumulatives : le constat par procès-verbal d’une infraction de travail dissimulé, l’existence de relations contractuelles entre le donneur d’ordre et l’auteur du travail dissimulé et que le montant de la prestation soit égal ou supérieur au seuil légal[1].

La mise en oeuvre de la solidarité financière à laquelle est tenue le donneur d’ordre est ainsi subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l’encontre de son cocontractant, et l’inspecteur du recouvrement a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d’exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l’envoi de la lettre d’observations.

L’absence de production par l’ organisme de recouvrement du procès-verbal pour délit de travail dissimulé qui sert de fondement à la mise en œuvre de la solidarité du donneur d’ordre ne met pas ce dernier en mesure de discuter tant la régularité de la procédure que le bienfondé de l’exigibilité des taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquels il est susceptible d’être tenu en raison du manquement de son co-contractant, fait obstacle à l’application de des dispositions de l’article L. 8222-2, 1° du code du travail[2]

Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

Il en résulte que le donneur d’ordre peut invoquer, à l’appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l’encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé.

Il en résulte que si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document[3].

L’URSSAF est donc informée de cette obligation, sinon depuis la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel ou des arrêts de la Cour de cassation précités[4]

En outre, pour dire inopérants les griefs tirés de la violation des principes de présomption d’innocence, d’individualisation et de proportionnalité des peines, le Conseil constitutionnel a aussi retenu par sa décision susvisée que, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le donneur d’ordre qui s’est acquitté du paiement des sommes exigibles en application du 1 ° de l’article L. 8222-2 dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires et qu’ainsi, cette solidarité n’a pas le caractère d’une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789.

L’obligation à laquelle est tenu le donneur d’ordre au titre de la solidarité financière est donc celle d’un garant[5].

Par ailleurs, aux termes de l’article R243-59 III du code de la sécurité sociale, à l’issue du contrôle ou lorsqu’un constat d’infraction de travail dissimulé a été transmis en application des dispositions de l’article L. 8271-6-4 du code du travail afin qu’il soit procédé à un redressement des cotisations et contributions dues, les agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L. 243-7 communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée ou au travailleur indépendant une lettre d’observations datée et signée par eux mentionnant l’objet du contrôle réalisé par eux ou par d’autres agents mentionnés à l’article L. 8271-1-2 du code du travail, le ou les documents consultés, la période vérifiée, le cas échéant, la date de la fin du contrôle et les observations faites au cours de celui-ci.

Lorsqu’une infraction mentionnée à l’article L. 8221-1 du code du travail a été constatée, la lettre d’observations mentionne en outre :

1° La référence au document prévu à l’article R. 133-1 ou les différents éléments listés au premier alinéa de cet article lorsque l’infraction a été constatée à l’occasion du contrôle réalisé par eux ;

2° La référence au document mentionné à l’article R. 133-1 ainsi que les faits constatés par les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 du code du travail lorsque le constat d’infraction de travail dissimulé a été transmis en application des dispositions de l’article L. 8271-6-4 du code du travail.

Enfin, aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

Par application des alinéas 1 et 2 de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

En conséquence, il importe peu que l’Urssaf n’ait pas communiqué au donneur d’ordre (dans le cadre de la solidarité financière) le procès-verbal et ses « pièces jointes » avant la phase contentieuse dès lors qu’elle n’y était pas tenue.

En revanche, en phase contentieuse, le donneur d’ordre qui conteste la régularité de la mise en œuvre de sa solidarité financière devant être mis en mesure de contester contradictoirement la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des cotisations et contributions sociales ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu, le procès-verbal devait être produit avec ses quatre annexes qui en sont des éléments indissociables et substantiels.

Si la mise en œuvre de la sanction d’annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés, prévue par l’article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, n’est pas subordonnée à la communication préalable à celui-ci du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre de son cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de celui-ci[6].

En conséquence, à défaut d’avoir communiqué le procès-verbal dans sa totalité afin de permettre au donneur d’ordre d’exercer utilement ses droits, l’Urssaf n’est pas fondée à mettre en œuvre de la solidarité financière et la procédure de redressement doit être annulée[7]

Si l’absence de communication au donneur d’ordre du procès-verbal de travail dissimulé dressé à l’encontre de son cocontractant, n’affecte pas la régularité de la procédure de redressement, elle fait obstacle à la condamnation de la société, au titre de la solidarité financière et de la sanction prévue par l’article L. 133-4-5 précité, dès lors que cette communication vise à garantir à l’intéressée qui n’est pas placée dans la même situation que la personne contrôlée, la possibilité d’un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, valeurs de portée constitutionnelle, en obtenant sa production lors des débats devant le juge du contentieux général de la sécurité sociale.

Invoquant le secret de l’enquête attaché au procès-verbal de travail dissimulé transmis au Procureur de la République, La caisse générale de sécurité sociale de La Réunion a adressé, au président de la formation de jugement de première instance, ledit procès-verbal sous pli fermé.

D’une part, la juridiction n’a pu prendre connaissance du procès-verbal en l’absence de communication contradictoire de cette pièce.

D’autre part, l’article 11 du code de procédure pénale ne saurait faire obstacle à l’exercice des droits de la défense, au droit à un procès équitable contradictoire et au principe d’égalité des armes qui impose une égalité procédurale dans la communication des pièces aux parties.

En conséquence, le juge judiciaire devant respecter et faire respecter les droits et principes précités, il est ordonné avant-dire droit la communication aux débats du procès-verbal de travail dissimulation dressé à l’encontre du sous-traitant, à l’origine de la mise en œuvre par la caisse de la solidarité financière de la société et de la sanction prévue par l’article L. 133-4-5 précité à l’égard de la société en sa qualité de donneur d’ordre[8].

Dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d’un travail dissimulé, l’URSSAF a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d’exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l’envoi de la lettre d’observations.

L’Urssaf n’est pas tenue de soumettre le donneur d’ordre à un contrôle, ni de joindre à la lettre d’observations le procès-verbal constatant le délit[9], ni de lui envoyer d’autres documents, tels le procès-verbal de constatation du travail dissimulé, ou les documents comptables de l’entreprise ayant permis de chiffrer le montant du redressement[10].

 

Le refus de transmission à la société par l’URSSAF du procès-verbal de travail dissimulé pendant la procédure de contrôle n’affecte donc nullement la régularité de la procédure engagée à l’égard du donneur d’ordre, étant précisé que ledit procès-verbal doit par contre être produit dans le cadre de l’instance judiciaire.

Ce refus de transmission ne porte pas plus atteinte au principe de la contradiction qui a été assuré par l’envoi par la caisse au donneur d’ordre’ de la lettre d’observations du 29 juillet 2015 l’avisant de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité financière, indiquant le montant global des cotisations dues et leurs modalités de calcul, année par année, et ce donc dans le respect des exigences de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

Satisfait ainsi aux exigences de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale la lettre d’observations adressée, dans le cadre de la solidarité instituée par les dispositions de l’article L. 324-14 (devenu l’article L. 8222-2 du code du travail), à une entreprise ayant recouru aux services d’une société ayant fait l’objet d’un redressement de ses cotisations pour travail dissimulé, dès lors qu’ayant rappelé les règles applicables et mentionné le montant global des cotisations dues par la société, elle énonce que les cotisations mises à la charge de l’entreprise utilisatrice ont été calculées au prorata de la valeur des prestations effectuées par la société, seules étant prises en compte les prestations supérieures à 3000 euros, et précise, année par année, le montant des sommes dues[11].

L’absence de communication au donneur d’ordre du procès-verbal de travail dissimulé établi à l’encontre du sous-traitant et de ses pièces jointes préalablement à la procédure contentieuse n’est pas de nature à justifier l’annulation de la procédure. Ce point est exact et ne peut pas utilement être contesté par le donneur d’ordre. Il importe peu que l’Urssaf ne lui ait pas communiqué le procès-verbal et ses « pièces jointes » avant la phase contentieuse dès lors qu’elle n’y était pas tenue. En revanche, en phase contentieuse, le donneur d’ordre qui conteste la régularité de la mise en œuvre de sa solidarité financière devant être mis en mesure de contester contradictoirement la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des cotisations et contributions sociales ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu, le procès-verbal devait être produit avec ses quatre annexes qui en sont des éléments indissociables et substantiels. En conséquence, à défaut d’avoir communiqué le procès-verbal dans sa totalité afin de permettre au donneur d’ordre d’exercer utilement ses droits, l’Urssaf n’est pas fondée à mettre en œuvre de la solidarité financière et la procédure de redressement doit être annulée[12].

Dès lors que le procès-verbal de travail dissimulé n’est pas produit aux débats et que le juge n’est pas été en mesure de vérifier que la société sous-traitante en cause a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, il doit en déduire que l’URSSAF n’était pas fondée à procéder à l’annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés[13].

L’Urssaf ne justifiant pas de la teneur du procès-verbal constatant le travail dissimulé ne respecte pas le principe du contradictoire, ce qui porte atteinte aux droits de la défense et fait obstacle à ce que l’appelante puisse contester la régularité de la procédure comme le bien-fondé des cotisations et contributions outre les majorations y afférentes dont le paiement solidaire auquel elle est tenue est poursuivi[14].

L’Urssaf ne justifiant pas contradictoirement de la teneur du procès-verbal constatant le travail dissimulé fait obstacle à ce que le donneur d’ordre puisse contester la régularité de la procédure comme le bien-fondé des cotisations et contributions outre les majorations y afférentes dont le paiement solidaire auquel elle est tenue est poursuivi[15].

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L’URSSAF ne justifiant pas de la teneur des procès-verbaux constatant le travail dissimulé, elle fait ainsi obstacle à ce que le donneur d’ordre puisse contester la régularité de la procédure comme le bien-fondé des cotisations et contributions outre les majorations s’y rapportant dont le paiement solidaire auquel elle est tenue est poursuivi. (Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8b 2 avril 2024 / n° 22/05151)

 

 

[1] Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8 – 16 juin 2023 – n° 21/11791

[2] Cour d’appel de de Nancy – ch. sociale sect. 01 12 novembre 2019 / n° 19/00054

[3] Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 avril 2021, 20-11.126

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 3 juin 2021, 20-14.013

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 24 juin 2021, 20-10.946

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 23 juin 2022, 20-22.128

Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 12 3 mars 2023 / n° 16/13468

[4] Cour d’appel de Rennes – 9ème Ch Sécurité Sociale 12 avril 2023 / n° 21/05231

[5] Cour d’appel de Besançon – Chambre sociale 14 novembre 2023 / n° 22/01905

[6] Cour de cassation – Deuxième chambre civile — 6 avril 2023 – n° 21-17.173

[7] Cour d’appel de Paris 3 mars 2023 RG n° 16/13468

[8] Cour d’appel de La Réunion – Chambre sociale 21 juin 2023 / n° 22/00911

[9] Cass. 2e Civ., 13 octobre 2011, n°10-19.391

Cass. 2e Civ., 14 février 2019, n°18-12.150

[10] Cass. 2e Civ., 10 décembre 2009, n° 09-12.173

[11] Cass. 2e Civ., 13 octobre 2011, n°10-24.861, Bull.II, n°188

[12] Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 12 – 3 mars 2023 – n° 16/13468

[13] Cour d’appel de Nîmes – 5e chambre Pole social – 14 septembre 2023 – n° 21/01819

Cour d’appel de Nîmes – 5e chambre Pole social – 14 septembre 2023 – n° 21/01820

[14] Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8 – 16 juin 2023 – n° 21/11788

[15] Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8 – 16 juin 2023 – n° 21/11791

Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 4-8 – 16 juin 2023 – n° 21/11790




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Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

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DEA Droit Privé Fondamental
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