Les condamnations de l’URSSAF, la CIPAV, la CARPIMKO, la CARSAT à des dommages et intérêts pour manquement à leur devoir d’information

L’article R 112-2 du Code de la sécurité sociale énonce :

« Avec le concours des organismes de sécurité sociale, le ministre chargé de la sécurité sociale prend toutes mesures utiles afin d’assurer l’information générale des assurés sociaux. »

Les organismes de sécurité sociale ont le devoir de prendre toutes mesures utiles afin d’assurer l’information générale des assurés sociaux[1].

L’obligation générale d’information dont les organismes de sécurité sociale sont débiteurs envers leurs assurés leur impose seulement de répondre aux demandes qui leur sont soumises[2].

Il ne saurait être imposé aux organismes de sécurité sociale de prendre l’initiative d’une information individuelle d’un cotisant[3], il en va différemment si ceux-ci forment une demande d’information[4].

Faute de demande précise du cotisant, aucune faute de la caisse ne saurait être retenue au titre du devoir d’information[5].

L’obligation générale d’information dont l’article R112-2 du code de la sécurité sociale rend les organismes de sécurité sociale débiteurs envers leurs assurés ne leur impose, en l’absence de demande de ceux-ci, ni de prendre l’initiative de les renseigner sur leurs droits éventuels, ni de porter à leur connaissance des textes publiés au Journal officiel de la République française[6].

Cette obligation ne saurait obliger les organismes de sécurité sociale de prendre l’initiative d’une information individuelle d’un cotisant alors que les droits auxquels celui-ci peut prétendre et qu’il allègue ignorer se déduisent de la mise en application d’une nouvelle loi[7].

Le manquement à cette obligation générale d’information est de nature à engager leur responsabilité et justifier l’allocation de dommages intérêts[8].

Dès lors qu’elle entraîne un préjudice pour l’assuré, la faute commise par un organisme de sécurité sociale est de nature à engager sa responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, peu important que la faute soit grossière ou non, et que le préjudice soit ou non anormal[9].




La condamnation de l’URSSAF à des dommages et intérêts pour manquement à son devoir d’information

La Cour d’appel de Rennes a jugé[10] :

« Se fondant sur les dispositions des articles R 112-12 du code de la sécurité sociale et 1240 du code civil, Mme [L] considère que l’URSSAF a engagé sa responsabilité pour manquement à son obligation générale d’information des assurés sociaux, que ses fautes l’ont privée d’une période d’acquisition de droits à la retraite et ont conduit à faire régler à M. [L] des cotisations indues sur la même période, sans possibilité de régularisation sur l’intégralité des sommes versées.

Il est constant que les époux [L] ont régulièrement fait la déclaration de conjoint collaborateur en octobre 2009 avec effet au 1er juin 2007 et qu’ils ont renvoyé en septembre 2010 au RSI le bulletin transmis par cet organisme, faisant ainsi connaître l’option choisie pour le calcul des cotisations retraite de Mme [L]. L’URSSAF se fonde d’ailleurs sur cette déclaration de 2010 pour justifier les mises en demeure, objet du présent litige. Il n’est pas discuté que M. [L] a toujours fait régulièrement ses déclarations de revenus auprès du RSI et qu’il a cotisé sur cette base durant toute la période considérée de 2007 à 2017. L’URSSAF ne peut donc sérieusement prétendre qu’elle a été maintenue dans l’ignorance de la situation de Mme [L] et ne s’explique pas sur l’absence d’appel à cotisations la concernant jusqu’en 2017, ni sur les erreurs récurrentes commises sur l’adresse de Mme [L] et sur l’entreprise de rattachement de son statut de conjoint collaborateur.

Par ailleurs, en l’absence de toute information précise sur ce point fournie par l’URSSAF, celle-ci ne peut reprocher à Mme [L] de ne pas avoir été suffisamment vigilante et de ne pas s’être inquiétée de l’absence d’appels à cotisations à elle personnellement adressés.

Il est incontestable que le défaut d’information fournie par l’organisme à ses affiliés et la multiplicité des erreurs commises sur la situation de Mme [L], alors que le bulletin d’adhésion lui a bien été adressé régulièrement dès 2009 avec mention de l’option choisie, ont occasionné à l’appelante un préjudice certain, résultant pour elle de la perte de chance de se constituer une meilleure retraite durant les sept premières années d’affiliation, de 2007 à 2013, étant souligné qu’elle ne peut se prévaloir d’une perte de trimestres cotisés concernant les années 2014 à 2017, pour lesquels elle invoque la nullité des mises en demeure.

S’agissant des années antérieures pour lesquelles la prescription est encourue, et au regard de son profil de carrière, son absence de cotisation va nécessairement entraîner une perte sur le calcul de son revenu de référence, en l’état de la législation actuelle. Ce manque pourra avoir une incidence non seulement sur la base de calcul de sa retraite mais également sur la date de son départ à la retraite puisqu’elle devra travailler jusqu’à ce qu’elle puisse percevoir le taux plein automatique, soit 67 ans, faute pour elle d’avoir cotisé 170 trimestres. Au surplus, le défaut de cotisations sur cette période de 7 ans, entraîne pour elle une perte de chance de minorer sa décote dans l’hypothèse où elle souhaiterait partir à la retraite avant 67 ans, âge du taux plein. Les carences du RSI lui ont donc occasionné un préjudice découlant de cette perte de chance qui sera justement évalué à la somme de 60 000 euros.

L’URSSAF sera en conséquence condamnée à payer à Mme [L] une somme de 60 000 euros en réparation du préjudice subi. »

 

La condamnation de la CIPAV à des dommages et intérêts pour manquement à son devoir d’information

La Cour d’appel d’Orléans a jugé[11] :

« La CIPAV, saisie par M. [Z] d’une demande d’exonération de ses cotisations dues pour l’année 2014 et destinataire selon ce dernier, ce qu’elle ne conteste pas, d’un certificat médical, lui a adressé un courrier le 28 janvier 2015 dans lequel elle l’informait de ce que cette exonération lui était accordée pour les cotisations afférentes au régime de base et au régime de retraite complémentaire, mais pas pour la cotisation au régime d’invalidité-décès, de sorte que son compte était débiteur de la somme de 82,08 euros, qu’il lui était demandé de régler, sans d’ailleurs que cette distinction soit expliquée.

La Cour constate que ce courrier ne mentionne pas que la sanction du défaut de paiement de ces cotisations était une déchéance de son droit à pension.

La CIPAV invoque à cet égard un appel de cotisations adressé à M. [Z] postérieurement au précédent, le 14 mars 2016, d’ailleurs pour un montant bien supérieur, compte tenu de l’exonération dont il venait de bénéficier, dans lequel il aurait été averti des conséquences du défaut de paiement.

Cependant, ce courrier mentionne : ‘attention, si vous prenez votre retraite en 2016, vous devez être à jour de la totalité de vos cotisations’, ce qui ne signifie en rien que M. [Z] ait été alerté sur un refus de versement d’une pension invalidité en cas de non-paiement de la cotisation afférente.

Il résulte de ces éléments que M. [Z], alors même que la CIPAV avait été interrogée par ce dernier sur sa situation particulière, résultant de son état d’incapacité, par le biais de la demande d’exonération qu’il lui a soumise, et qui pour partie a été acceptée, aurait dû l’informer de la sanction attachée au défaut de paiement de la somme dérisoire de 82,08 euros qui restait due, qu’il n’a finalement payée que tardivement.

C’est en ce sens que la CIPAV a failli à son devoir d’information et que la demande de M. [Z] visant à l’octroi de dommages-intérêts sera accueillie en son principe. 

Sur le montant des dommages-intérêts alloués à M. [Z] :

[Z] invoque une perte de chance liée à la perte du bénéfice de la pension d’invalidité dont il a été privé et qui aurait pu lui être servie jusqu’à l’âge de 65 ans, comme prévu par l’article 4.25 des statuts de la CIPAV, ce à quoi s’ajoute la perte des pensions de retraite de base et complémentaire, pour lesquelles les garanties auraient pu être maintenues par application de l’article 4.29 des statuts.

Aussi évalue-t-il à 65 750 euros (pension d’invalidité perdue sur 150 mois) + 41 427 euros (pension de retraite de base perdue) + 16 924 euros (pension de retraite complémentaire perdue) le montant total de la perte qu’il aura subie, auquel il applique un coefficient de 99 % pour tenir compte de ce que l’indemnisation de la perte de chance ne peut être égale à l’avantage qui aurait été tiré si l’évènement manqué s’était réalisé, de sorte qu’il réclame le paiement de la somme de 122 860 euros.

La perte de chance est constituée lorsqu’est établie la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, ce qui est le cas en l’espèce puisque compte tenu du manquement de la CIPAV à son obligation d’information, M. [Z] a perdu la possibilité de recevoir la pension d’invalidité jusqu’à la liquidation de sa retraite complémentaire, au maximum jusqu’au premier jour du mois suivant ses 65 ans (article 4.25 du statuts de la CIPAV).

Par ailleurs, il est privé du bénéfice de l’article 4.29 des statuts qui prévoit que le compte de l’intéressé est crédité des cotisations du régime d’assurance vieillesse de base jusqu’à 60 ans et de celles du régime complémentaire jusqu’à la liquidation de ladite retraite et au plus tard à ses 65 ans.

[Z] évalue à 124 101 euros le montant des sommes qu’il a perdues, sur la base d’une liquidation de sa retraite à 65 ans et d’une espérance de vie de 79,3 ans.

La CIPAV ne critique aucun de ces critères, ni ne fournit un calcul concurrent de celui proposé par M.[Z],

Ce montant sera donc retenu par la Cour comme base de calcul.

Ensuite, la CIPAV rappelle, avec raison, que l’indemnisation de la perte de chance ne peut jamais être intégrale, ce à quoi il doit être ajouté que le juge apprécie souverainement la fraction des préjudices correspondant à la perte de chance de les éviter.

La Cour, au regard des éléments du dossier, évalue à 50 % des préjudices invoqués par M. [Z] la fraction qui doit être retenue au titre de la perte de chance, de sorte que ce dernier se verra allouer la somme de 62 050,50 euros à titre de dommages-intérêts.

Cette somme portera intérêts au taux légal, s’agissant d’une créance indemnitaire, à compter de la date à laquelle elle a été judiciairement fixée, soit au 14 mars 2023, avec capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du Code civil. »

La condamnation de la CARPIMKO à des dommages et intérêts pour manquement à son devoir d’information

La Cour d’appel d’Orléans a jugé[12] :

« En l’espèce, il résulte de plusieurs courriers adressés par Mme [M] ou son expert-comptable à la CARPIMKO les 2 février 2018, 2 août 2018 et 28 août 2018, ce dernier rappelé par télécopie le 27 décembre 2018, que d’une part, la caisse a bien été interrogée sur les cotisations qui lui étaient dues, notamment pour l’année 2018, et que celle-ci était informée de la situation d’invalidité de l’intéressée depuis septembre 2017.

La CARPIMKO a d’ailleurs adressé le 14 août 2018 un courrier à Mme [M] l’informant que compte tenu de son revenu égal à zéro en 2018, le montant des cotisations pour l’année 2018 étaient limité à 3 835 euros.

La demande d’information sur les cotisations 2018 sur laquelle la CARPIMKO était interrogée, et la situation de Mme [M], particulièrement son état d’incapacité totale de travail, sur laquelle la CARPIMKO avait été alertée, auraient dû conduire la caisse à l’informer sur la possibilité de demander l’exonération de ses cotisations et sur le délai qui lui était imparti pour la solliciter.

C’est en ce sens que la CARPIMKO a failli à son devoir d’information.

C’est pourquoi Mme [M] doit être indemnisée (en réparation, dit que la CARPIMKO n’est pas fondée à réclamer les cotisations et majorations de retard) »

La condamnation de la CARSAT à des dommages et intérêts pour manquement à son devoir d’information

La Cour d’appel de Rouen a jugé[13] :

« Dans son courrier du 29 juillet 2015, en réponse à la demande indemnitaire de l’avocat de l’appelante, la caisse indique : « sur un imprimé réceptionné le 28 octobre 2010, Madame [H] [L] exprimait la préoccupation de connaître l’incidence sur le droit à pension de réversion d’une continuité d’activité professionnelle. Elle indiquait vouloir prendre sa retraite ‘ sans perte de ressources’. Force est de constater que sa demande d’information ne fut manifestement pas suivie d’effet par courrier écrit. »

L’existence d’une demande précise formulée par l’appelante en octobre 2010 est en conséquence établie, de même que l’absence de réponse de la caisse. En revanche, le compte rendu informatique succinct du rendez-vous du 3 mars 2011, qui évoque une régularisation en cours et une révision de la pension de réversion à faire en raison de la reprise d’activité en 2009 qui n’avait pas été déclarée, ne suffit pas à démontrer que la conseillère retraite aurait enjoint à Mme [L] de continuer son activité professionnelle et lui aurait dit qu’elle aurait un indu de 24’000 euros à rembourser.

Ainsi son préjudice moral, résultant de l’absence de réponse à une demande légitime d’information, qui ne lui a pas permis d’être éclairée avant de prendre sa décision concernant sa retraite et sa poursuite d’activité, sera réparé par l’octroi d’une somme de 3 000 euros. »

La Cour d’appel de Bordeaux a jugé[14] :

« En l’espèce, Mme [Y] est fondée à demander la réparation du préjudice moral qui est résulté du silence que la CARSAT a opposé à sa contestation du 18 décembre 2010 et de la confusion que la CARSAT a entretenue jusqu’au mois de juin 2016 tenant au nombre de trimestres cotisés; Mme [Y] ne justifie en revanche d’aucun préjudice financier. Le préjudice de Mme [Y] sera entièrement réparé par l’allocation de la somme de 2500 euros au paiement de laquelle la CARSAT sera condamnée. »

 

 

[1] Cass. soc., 31 mai 2001, n° 99-20912

[2] Cass. 2e civ., 27 janv. 2022, n° 20-19085

Cour d’appel de Montpellier – 3e chambre sociale 19 avril 2023 n° 18/06145

[3] Cass. 2e civ., 6 mars 2008, n° 07-11812

[4] Cour d’appel d’Orléans – Chambre Sécurité Sociale 14 mars 2023 n° 21/02204

[5] Cour d’appel de Dijon – Chambre sociale 26 janvier 2023 n° 20/00207

[6] Cass. civ. 2e 28 novembre 2013 n° 12-24210

Cass. civ. 2e 11 octobre 2018 n° 17-22.457

[7] Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 13 23 juin 2023 n° 20/05222

[8] Cass. Soc., 31 mai 2001, n° 99-20.912

[9] Cour d’appel de Bordeaux – CHAMBRE SOCIALE SECTION B 19 janvier 2023 n° 20/01006

[10] Cour d’appel de Rennes – 9ème Ch Sécurité Sociale 24 mai 2023 n° 21/04675

[11] Cour d’appel d’Orléans – Chambre Sécurité Sociale 14 mars 2023 n° 21/02204

[12] Cour d’appel d’Orléans – Chambre Sécurité Sociale 14 mars 2023 n° 21/02309

[13] Cour d’appel de Rouen – Chambre sociale 14 décembre 2022 n° 22/02023

[14] Cour d’appel de Bordeaux – CHAMBRE SOCIALE SECTION B 22 septembre 2022 n° 19/04769

 

 

 




 

Eric ROCHEBLAVE – Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

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Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d’Informatique Juridique

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