Peut-on exercer son droit de retrait face au COVID19 ?

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Il résulte des dispositions conjuguées des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Les articles 3, 4 et 5 de la Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail dispose :

« 3. L’employeur doit:

 a) informer le plus tôt possible tous les travailleurs qui sont ou qui peuvent être exposés à un risque de danger grave et immédiat sur ce risque et sur les dispositions prises ou à prendre en matière de protection;

b) prendre des mesures et donner des instructions pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, d’arrêter leur activité et/ou de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail;

c) sauf exception dûment motivée, s’abstenir de demander aux travailleurs de reprendre leur activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et immédiat.  

  1. Un travailleur qui, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail et/ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.
  1. L’employeur fait en sorte que tout travailleur, en cas de danger grave et immédiat pour sa propre sécurité et/ou celle d’autres personnes, puisse, en cas d’impossibilité de contacter le supérieur hiérarchique compétent et en tenant compte de ses connaissances et moyens techniques, prendre les mesures appropriées pour éviter les conséquences d’un tel danger.

 Son action n’entraîne pour lui aucun préjudice, à moins qu’il n’ait agi de manière inconsidérée ou qu’il ait commis une négligence lourde. »

L’article L 4131-1 du Code du travail dispose que :

« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. »

L’article L 4131-3 du Code du travail précise qu’ :

« aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux. »

 Qu’est-ce qu’un danger grave et imminent ?

Le danger doit apparaître comme se situant au-delà du risque qui s’attache à l’exercice normal d’une tâche ou d’une fonction qui peut en elle-même être dangereuse.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 7, 27 Février 2020 – n° 18/00550

Le danger grave et immédiat s’apprécie au regard des risques particuliers que connaît le salarié.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 11, 2 Avril 2019 – n° 17/05589

Le danger grave et imminent susceptible de justifier le retrait du salarié s’apprécie au regard des risques particuliers que connaît le salarié.

Dès lors qu’il y a un motif légitime de croire à un danger ‘possible’, le salarié peut valablement exercer son droit de retrait, peu important que par la suite un rapport d’experts est exclu l’existence d’un danger réel ;

Cour d’appel, Chambéry, Chambre sociale, 28 Novembre 2017 – n° 17/00367

Quand bien même un salarié conserve ainsi dans l’exercice de ce droit un certain droit à l’erreur dans l’appréciation des circonstances lui faisant craindre pour sa vie ou sa santé, cette appréciation doit se situer dans la limite du raisonnable, dès lors que la faculté ainsi donnée de se retirer de son poste de travail doit être entendue comme un recours exceptionnel lorsqu’en face d’une menace de danger grave et très proche il n’y a pas d’autre moyen d’agir pour échapper au danger.

Cour d’appel, Chambéry, Chambre sociale, 28 Septembre 2017 – n° 16/02327

Que doit prouver le salarié qui exerce son droit de retrait ?

C’est au salarié, qui exerce son droit de retrait, qu’il appartient de justifier qu’il a fait usage de ce droit de manière légitime, c’est à dire qu’il avait un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouvait dans le cadre de son travail présentait un danger à la fois grave et imminent, l’emploi du terme « et » indiquant que ces deux conditions sont cumulatives, soit pour sa vie, soit pour sa santé, ce qui suppose une incidence sur son intégrité physique, qui peut être soit soudaine et localisée dans le temps dans le cas d’un accident, soit d’évolution progressive dans le cas d’une maladie.

Cour d’appel, Metz, Chambre sociale, 1re section, 14 Janvier 2020 – n° 17/01235

Le salarié qui fait valoir son droit de retrait, n’a pas à démontrer que la situation de travail qu’il rencontre présente effectivement un danger grave et imminent, mais qu’il a un motif raisonnable de le penser.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 7, 27 Février 2020 – n° 18/00550

Pour exercer utilement et régulièrement son droit de retrait, le salarié doit justifier de l’existence d’un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie, le risque invoqué étant susceptible de se réaliser brusquement et dans un délai rapproché.

En l’absence de la démonstration par le salarié, de l’existence d’un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie ou celles de tiers, la décision qu’il a prise de cesser brutalement son travail ne peut être justifiée par l’exercice d’un droit de retrait.

Cour d’Appel de Pau, 31-03-2016, n° 13/04408

Il lui appartient alors de démontrer :

– d’une part, l’existence d’un danger tout à la fois grave – c’est-à-dire susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée – et imminent – c’est-à-dire susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché.

– d’autre part le motif raisonnable selon lequel il s’estime en danger.

Il est acquis :

– qu’une erreur d’estimation de sa part n’est pas en soi fautive dès lors que le motif raisonnable existe,

– que le danger le conduisant à exercer son droit de retrait n’a pas nécessairement à être effectif et réel, qu’il suffit qu’il ait pu penser « raisonnablement » qu’il existait un danger pour sa santé et sa sécurité apprécié à l’aulne de ses fonctions, de ses compétences, de ses connaissances et de son expérience et qu’il importe donc peu de ce fait que le rapport d’un expert ou de l’inspecteur du travail ait exclu par la suite l’existence d’un danger réel et prévisible.

Cour d’appel, Pau, Chambre sociale, 18 Octobre 2018 – n° 16/03658

Pour exercer son droit de retrait, le salarié doit-il en informer son employeur ?

Oui !

Le fait pour un salarié de quitter prématurément son poste de travail sans en informer son employeur et alors qu’il n’était pas dans les conditions pour exercer son droit de retrait, s’analyse nécessairement en un abandon de poste.
Cour d’appel, Metz, Chambre sociale, 1re section, 24 Février 2020 – n° 17/03315

Pour exercer son droit de retrait, le salarié doit-il respecter un formalisme ?

Il est constant que le droit de retrait n’est soumis à aucun formalisme particulier, et peut même être implicite.

Cour d’appel, Chambéry, Chambre sociale, 28 Novembre 2017 – n° 17/00367

Un salarié en arrêt de travail peut-il exercer son droit de retrait ?

Non !

Le droit de retrait ne peut être exercé que pendant l’exécution du contrat de travail : le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie ne peut pas exercer de droit de retrait.

Cour de cassation, Chambre sociale, 9 Octobre 2013 – n° 12-22.288

Qui apprécie la légitimité de l’exercice par le salarié de son droit de retrait ?

Si le CHSCT ou le médecin du travail estime que le poste de travail ne fait courir de danger au salarié, celui-ci doit reprendre son travail.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 11, 2 Avril 2019 – n° 17/05589

C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’il appartient au juge prud’homal d’estimer si un salarié avait un motif raisonnable de penser qu’il existait un danger grave et imminent de nature à justifier l’exercice du droit de retrait.
Cour de cassation, Chambre sociale, 9 Mai 2012 – n° 10-27.115
Cour de cassation, Chambre sociale, 29 Janvier 2013 – n° 11-20.351

En l’absence de dispositions excluant l’exercice de ses pouvoirs, prévus par les articles R. 1455-5 à R. 1455-8 du Code du travail, la formation de référé du Conseil de Prud’hommes ne peut se voir interdire de statuer sur une demande de rappel de salaires retenus à l’occasion d’un usage discuté du droit de retrait.

Cour de cassation, Chambre sociale, 31 Mars 2016 – n° 14-25.237

L’employeur n’est pas tenu de saisir préalablement le juge sur l’appréciation du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait par le salarié.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 Novembre 2008 – n° 07-87.650

Comment est apprécié la légitimité de l’exercice par le salarié de son droit de retrait ?

Le juge prud’homal apprécie au moment où le salarié a exercé son droit de retrait si les mesures prises par l’employeur étaient suffisantes ou non.

Cour d’appel, Aix-en-Provence, 4e et 5e chambres réunies, 24 Janvier 2019 – n° 17/04630

L’employeur peut-il demander au salarié qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité ?

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection

Cour d’appel, Lyon, Chambre sociale B, 23 Février 2018 – n° 16/00207

Le salarié qui fait usage de son droit de retrait sans motif raisonnable peut-il être sanctionné ?

Oui…

Le salarié peut être sanctionné s’il fait un usage de son droit de retrait sans motif raisonnable.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 11, 2 Avril 2019 – n° 17/05589

Lorsque les conditions du droit de retrait individuel ne sont pas réunies, le salarié s’expose à une retenue sur salaire (voire à une sanction disciplinaire pouvant aller de l’avertissement au licenciement), peu important qu’il reste à la disposition de l’employeur.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 Novembre 2008 – n° 07-87.650

Le refus persistant du salarié de reprendre son poste de travail alors que son droit de retrait n’était plus justifié autorise la rupture immédiate du contrat de travail.

Cour d’appel, Besançon, Chambre sociale, 7 Mai 2019 – n° 18/00313

L’exercice illégitime du droit de retrait est-il une faute grave ?

L’exercice non fondé du droit de retrait ne caractérise pas l’existence d’une faute grave, mais constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc. 6 dec 1990), mais la faute grave a aussi été retenue dans une hypothèse où un salarié avait refusé de reprendre le travail malgré une mise en garde de l’employeur, alors qu’il n’avait plus de motif raisonnable de penser que sa situation de travail l’exposait à un danger (Soc.24 sept 2013).

Cour d’appel, Metz, Chambre sociale, 1re section, 14 Janvier 2020 – n° 17/01235

Le licenciement exerçant de façon illégitime son droit de retrait ne peut prétendre au paiement par son employeur des salaires retenus par ce dernier ni à des dommages et intérêts pour mise en danger de sa santé physique.

Cour d’appel, Grenoble, Chambre sociale, section A, 17 Septembre 2019 – n° 17/04620

La notification d’une mise à pied et la menace d’un licenciement caractérisent une réaction inadaptée de l’employeur à l’exercice légitime du droit de retrait d’un salarié

La notification d’une mise à pied à titre conservatoire et la menace corrélative d’un licenciement caractérisent une réaction inadaptée de l’employeur aux circonstances de fait d’exercice légitime du droit de retrait d’un salarié et s’apparente, au-delà, à une sanction prise à l’encontre du salarié au mépris des dispositions précitées de l’article L. 4131-3 du code du travail.

De tels agissement caractérisent un manquement de l’employeur dont la gravité justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts exclusifs.

Cour d’appel, Grenoble, Chambre sociale, 23 Mai 2019 – n° 17/01991

 

Le licenciement sanctionnant l’exercice légitime du droit de retrait est nul

Est nul le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation de danger.

Cour de cassation, Chambre sociale, 28 Janvier 2009 – n° 07-44.556

Par un arrêt postérieur, la haute juridiction a confirmé cette analyse en jugeant ainsi qu’il suit : « ayant constaté que le salarié avait légitimement exercé son droit de retrait, peu important qu’il ait obtenu l’accord de son employeur pour quitter son poste de travail, et que l’un des reproches formulés par l’employeur dans la lettre de licenciement reposait sur l’exercice de ce droit de retrait, la cour d’appel en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués, que le licenciement était nul. »

Cour de cassation du 25 novembre 2015 n° 14-21. 272)

Il résulte des arrêts précités que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, pour des faits liés à l’exercice du droit de retrait, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Cour d’appel, Cayenne, Chambre sociale, 5 Avril 2019 – n° 16/00409

Un licenciement sanctionnant l’exercice de ce droit de retrait alors qu’il est légitimement exercé comme procédant d’un motif raisonnable et face à un danger grave et imminent doit être jugé nul.

Cour d’appel, Pau, Chambre sociale, 23 Janvier 2020 – n° 16/01744

Lorsque le salarié a exercé régulièrement son droit de retrait et que les griefs formulés dans la lettre de licenciement tenaient aux circonstances de son exercice contesté par l’employeur, le licenciement est nul.

Cour d’appel, Colmar, Chambre sociale, section A, 7 Décembre 2017 – n° 15/03688

Quelle(s) réparation(s) pour le salarié victime de la contestation par l’employeur de son exercice légitime de son droit de retrait ?

L’employeur est condamné au paiement du rappel de salaire et congés payés afférents indûment retenus, ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts ( en réparation de son préjudice moral résultant de la contestation par l’employeur de l’exercice de son droit légitime.

Cour d’appel, Rouen, Chambre sociale, 19 Septembre 2019 – n° 15/04446

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Eric ROCHEBLAVE
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