Les salariés ont-ils le droit de caricaturer leurs employeurs ?

La liberté d’expression est définie par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. ».

La liberté d’expression est aussi définie et protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun[i].

Ainsi, les salariés jouissent, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de leur liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées[ii].

Le Conseil constitutionnel a réaffirmé en 1994 que la liberté d’expression était une « liberté fondamentale d’autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés. »

Toutefois, l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le cadre des relations de travail n’est pas pas illimité, les caractéristiques spécifiques des relations de travail doivent être prises en compte[iii].

Par conséquent, les salariés ne peuvent abuser de leur liberté d’expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs[iv].

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Caricatures jugées dépassant les limites de la liberté d’expression

Pour la Cour d’appel de Rennes[v], caractérise « le dénigrement de la direction par un salarié qui dépasse les limites de la liberté d’expression reconnue à chaque salarié au sein d’une entreprise, en ce qu’ils sont vexatoires et humiliants. », « un document intitulé «’Plan d’activité objectifs du personnel – Merci Patron’» représentant la caricature de deux lapins, le premier avec la mention JANVIER a devant lui un bâton au bout duquel pend une carotte portant la mention ‘PRIME’ et le deuxième avec la mention DÉCEMBRE a un bâton au bout duquel il n’y a plus rien, la carotte «’PRIME’» se trouvant figée dans le postérieur du lapin »

Pour la Cour d’appel de Douai[vi], « la violence du dessin représentant un clown avec un poignard dans le dos et une bulle ‘les vaches !’ figurant dans un des tracts diffusés va au-delà de la liberté d’expression admise de la part d’un délégué syndical dans sa mission de défense des salariés et était de nature à justifier une sanction de mise à pied ; »


Caricatures jugées n’outrepassant pas les limites de la liberté d’expression

Pour la Cour d’appel de Bourges[vii], « un texte accompagné d’une photo d’un chariot élévateur sur le plateau duquel figurait, par montage, une caricature évoquant M. Nicolas S. », « s’ils dénotaient sans grande finesse un certain irrespect pour l’autorité du directeur, notamment par assimilation à une caricature du chef de l’État, ils n’excédaient pas pour autant les limites admissibles de la liberté d’expression syndicale »

Pour la Cour d’appel de Rouen[viii], « un premier dessin se moque des cadres qui regardent, les mains dans les poches, travailler un ouvrier. Il n’a rien d’insultant. », « Le second se moque d’un dirigeant qui licencie les uns après les autres trois ouvriers qui portent au-dessus de leur tête un rocher jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un qui reçoit le rocher sur la tête et qui se voit traiter d’incompétent. » : « il s’agit de caricatures du monde du travail en général, largement diffusées dans les entreprises et qui avaient d’ailleurs précédemment circulé au sein d’EDF, dont la diffusion n’outrepasse pas la liberté d’expression dont bénéficie chaque salarié. » 

[i] Cour européenne des Droits de l’Homme, Grande chambre, 12 Septembre 2011 – n° 28955/06 ; 28957/06 ; 28959/06 ; 28964/06

[ii] Cour de cassation, Chambre sociale, 8 Décembre 2009 – n° 08-17.191

[iii] Cour européenne des Droits de l’Homme, Grande chambre, 12 Septembre 2011 – n° 28955/06 ; 28957/06 ; 28959/06 ; 28964/06

[iv] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 juillet 2012 – n° 11-22.225

[v] Cour d’appel, Rennes, 8e chambre prud’homale, 24 Mai 2019 – n° 17/01530

[vi] Cour d’appel, Douai, 30 Avril 2010 – n° 09/01809

[vii] Cour d’appel, Bourges, Chambre sociale, 5 Février 2010 – n° 09/00663

[viii] Cour d’appel, Rouen, Chambre sociale, 28 Juin 2018 – n° 16/03852

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
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