Protection des salariés face au Covid-19 : le (mauvais) exemple d’Amazon

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Par Ordonnance de référé du 14 avril 2020, le Tribunal judiciaire de Nanterre a :

« Ordonné à la S.A.S. Amazon France Logistique de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts ainsi qu’à la mise en oeuvre des mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant,

Ordonné, dans l’attente de la mise en oeuvre des mesures ordonnées ci-dessus, à la S.A.S. Amazon France Logistique dans les 24 heures de la notification de cette décision de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte, de 1. 000.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, passé ce délai et pendant une durée maximum d’un mois, à l’issue de laquelle il pourra être à nouveau statué, »

Il s’agit, à notre connaissance, de la première décision de justice, et certainement pas la dernière, à se prononcer sur l’étendue de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés d’une entreprise et des mesures nécessaires à prendre (article L. 4121-1 du Code du travail) en cette période de crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19.

Le juge des Référés du Tribunal judiciaire de Nanterre a considéré que :

« Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire et eu égard au caractère hautement contagieux du virus, alors que l’épidémie continue de se propager, que les services de santé demeurent surchargés et que chaque personne est un vecteur potentiel de transmission du virus, il appartient à la société, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de ses salariés, des mesures complémentaires de nature à prévenir ou à limiter les conséquences de cette exposition aux risques. »

« si la société AMAZON a effectué une évaluation des risques induits par l’épidémie du virus Covid 19, cette dernière est insuffisante et la qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre permettant une maîtrise appropriée des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle.

Par conséquent, la société Amazon France Logistique a, de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. »

Pour le Juge des Référés du Tribunal judiciaire de Nanterre :

  • Amazon n’a pas associé les instances représentatives du personnel à l’évaluation des risques qu’elle aurait menée
  • Amazon n’a pas systématiquement et précisément évalué les risques liés à l’épidémie pour chaque situation de travail :

– le risque relatif au portique tournant d’entrée n’a pas été suffisamment évalué

– le risque de contamination s’agissant de l’utilisation des vestiaires n’a pas fait l’objet d’une évaluation suffisante

– l’intégralité des plans de prévention avec toutes les entreprises extérieures. n’est pas justifié

– Amazon ne justifie pas de protocoles de nettoyages mis en place en concertation avec les représentants du personnel

– le risque de contamination tenant aux manipulations successives des objets depuis la réception dans l’établissement à la livraison par les chauffeurs, n’a pas fait l’objet d’une évaluation dans les DUERP

  • Amazon ne prouve pas l’effectivité des mesures de distanciation sociale
  • Amazon ne justifie pas de l’effectivité y compris dans le temps des mesures prises
  • les mesures d’Amazon de formation des personnels ne sont pas ni suffisantes et ni adaptées au regard des risques élevés de contamination liés à la nature de l’activité de l’entreprise
  • Amazon n’a pas évalué les risques psycho-sociaux

Pour le Juge des Référés du Tribunal judiciaire de Nanterre : « Le non-respect de cette obligation rend également nécessaire de prévenir un dommage imminent constitué par la contamination d’un plus grand nombre de salariés et par suite la propagation du virus à de nouvelles personnes. »

« L’Organisation mondiale de la santé a déclaré, le 30 janvier 2020, que l’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19) constitue une urgence de santé publique de portée internationale.

Considérant le caractère pathogène et contagieux du virus covid-19, différentes mesures ont été prises par le gouvernement français aux fins de freiner la propagation du virus.

Le 28 février 2020, le gouvernement a établi des recommandations à l’attention des employeurs.

A compter du 17 mars 2020, le déplacement de toute personne hors de son domicile a été interdit, à l’exception de déplacements pour des motifs limitativement listés, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes.

L’état d’urgence sanitaire a été déclaré à compter du 24 mars 2020.

Le ministère du travail, suite au passage au stade 3 de l’épidémie, a émis les recommandations suivantes :

« le télétravail devient la norme pour tous les postes qui le permettent. Si votre activité ne le permet pas, vous devez alors garantir la sécurité de vos salariés en repensant l’organisation du travail :

– Les règles de distanciation et les gestes barrière doivent impérativement être respectés

– Limiter au strict nécessaire les réunions : La plupart peuvent être organisées à distance ; les autres doivent être organisées dans le respect des règles de distanciation ;

– Limiter les regroupements de salariés dans des espaces réduits ;

– Les déplacements non indispensables doivent être annulés ou reportés ;

– L’organisation du travail doit être au maximum adapté, par exemple mettre en place la rotation des équipes. »

Plusieurs alertes pour Danger Grave et Imminent (DGI) ont été déclenchées et des salariés ont fait valoir leur droit de retrait, considérant que les mesures prises par la société n’étaient pas suffisantes pour les protéger, droits de retrait qui ont été contestés par la direction.

Des salariés ont déposé des requêtes devant les juridictions prud’homales en vue d’obtenir la reconnaissance de la validité de leur droit de retrait.

Une plainte a également été déposée pour « mise en danger de la vie d’autrui » par des salariés.

Concernant les établissements de Saran, de Brétigny-sur-Orge, de Lauwin-Planque, de Sevrey et de Montélimar, les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ont adressé, le 3 avril 2020 et le 7 avril 2020 pour l’établissement de Montélimar, à la société des mises en demeure de mettre en œuvre des mesures de prévention du risque COVID 19 telles que préconisées par le Ministère de la Santé et le respect des principes généraux de prévention conformément aux dispositions de l’article L. 4121-2 du code du travail en mettant en place, une organisation et des moyens adaptés, notamment les mesures barrières et gestes de distanciation sociale.

La société a exercé des recours gracieux et hiérarchiques à l’encontre de ces mises en demeure, à l’exception de la mise en demeure du 7 avril 2020.

Concernant l’établissement de Sevrey, la mise en demeure a été levée le 9 avril 2020 suite à une contrevisite effectuée le 8 avril 2020.

Concernant l’établissement de Brétigny-sur-Orge, suite à une contrevisite effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a adressé une nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020 comportant des demandes de rappel auprès des salariés des consignes quant aux regroupements de personnes et sur les gestes barrière, des observations sur la source de contamination que constituent les portiques tournants à l’entrée, les distributeurs d’eau et les machines à café et la transmission des protocoles de sécurité établis avec les fournisseurs et clients majeurs.

Concernant l’établissement de Lauwin Planque, suite à une visite effectuée le 8 avril 2020, l’inspecteur du travail a adressé une nouvelle lettre d’observations le 10 avril 2020 attirant l’attention de la société sur certaines situations de travail dans lesquelles les règles de distanciation ne sont pas respectées et la nécessité de mesures complémentaires concernant la désinfection des lieux et le lavage régulier des mains et a demandé à l’établissement de procéder à l’évaluation des risques psycho-sociaux dans le document unique d’évaluation des risques professionnels.

Sur la violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés
 

Conformément aux dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

En application des articles L 4121-3 et R 4121-1 à -4 du code du travail, l’employeur est tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique et de mettre en œuvre les mesures de prévention adéquates.

Ainsi que le précise la circulaire du DRT 2002-6 du 18 avril 2002, les représentants des salariés doivent être associés à l’évaluation de ces risques.

Il convient de rappeler en outre que le comité social et économique a pour mission de promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et qu’il doit être consulté en cas de modification importante de l’organisation du travail.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Suite au passage au stade 3 de l’épidémie, il n’est pas discuté que les mesures nécessaires au sens de ces dispositions sus-rappelées sont celles préconisées puis rendues obligatoires par le gouvernement à savoir notamment s’assurer que les règles de distanciation et les gestes barrières sont effectivement respectés au sein de l’entreprise et que les réunions soient effectivement limitées au strict nécessaire comme doivent l’être les regroupements de salariés dans des espaces réduits et que l’organisation du travail doit être au maximum adaptée.

Pour soutenir qu’il existe un trouble manifestement illicite et un dommage imminent au sens prévu à l’article 835 du code de procédure civile, le syndicat fait valoir en premier lieu que la société n’aurait pas procédé à une évaluation de manière systématique des risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail et n’y aurait pas associé les représentants du personnel.

En réponse, la société soutient qu’elle a mis en oeuvre l’intégralité des mesures ainsi édictées tout en assurant la sécurité de ses salariés, de ses partenaires de livraison, et de ses clients, et que les mesures qu’elle a prises vont bien au-delà de ces règles et qu’elle a modifié l’organisation du travail en fractionnant les horaires de travail et de pause, en modifiant les horaires des équipes notamment.

Elle soutient qu’elle procède à pas moins de trois évaluations complètes par jour via :

– un contrôle de l’équipe « Safety » (sécurité)

– une visite quotidienne des sites avec les représentants du personnel qui le souhaitent

– une réunion téléphonique avec l’ensemble des fonctions supports de tous les sites permettant une évaluation complète des risques et des mesures mises en place.

L’association des instances représentatives du personnel sur l’évaluation des risques
 

Alors que la société expose avoir modifié l’organisation du travail, après avoir procédé à une évaluation des risques, elle ne justifie pas y avoir associé les représentants des salariés et en premier les CSE des différents sites.

A ce titre, elle se contente d’indiquer que le document d’évaluation des risques de chaque site est remis à jour depuis le début de l’épidémie au moins une fois par semaine voire plus, qu’elle a identifié 35 risques correspondant à l’ensemble des zones ou des activités qui pourraient présenter des risques en l’absence d’aménagement, que l’ensemble des documents d’évaluation des risques sont mis à la disposition des membres du CSE qui est informé de l’intégralité des mesures mises en oeuvre au sein de la Société, que depuis le 20 mars 2020, elle procède à des visites de sites avec au minimum deux salariés volontaires qui sont prioritairement choisis parmi les membres des CSE, des CSSCT ou des organisations syndicales lorsque ces derniers acceptent cette démarche, et qu’elle a convié les organisations syndicales à une réunion de négociation portant sur les mesures mise en oeuvre dans le cadre de la gestion de la crise le 19 mars 2020, que lors de cette réunion, et malgré le refus catégorique des organisations syndicales de négocier toute mesure, elle leur a exposé les premières mesures mises en oeuvre et celles en cours de mise en place et qu’à l’issue de cette réunion, elle a émis un « Plan d’action relatif aux conditions de protection durant l’épidémie de Coronavirus », qu’elle a mis en place des audits quotidiens sur le respect des règles en vigueur par le biais de son équipe sécurité.

Elle ne verse aux débats aucun procès-verbal de réunions des CSE ni du CSE central depuis le début de l’épidémie, indiquant à l’audience qu’ils n’ont pas encore été formalisés, pas plus que les comptes-rendus des visites et des audits sus-évoqués.

Seuls sont produits, sans être précisément listés, des échanges de courriels avec les membres des CSE ainsi qu’un certain nombre d’ordres du jour de réunions de ces instances qui font ressortir, ce que la direction ne conteste d’ailleurs pas, que les membres des comités et les comités eux-mêmes ont uniquement été informés a posteriori des mesures préventives prises et des procédures mises en place ainsi que des modifications de l’organisation du travail.

Ne sont fournis ni le nombre des réunions de ces instances qui se sont effectivement tenues ni la teneur des échanges qui ont eu lieu lors de ces réunions ni même les documents présentés à l’appui de cette information de sorte que la société ne rapporte pas la preuve de l’information donnée et de son contenu.

Il y a dès lors lieu de considérer que les instances représentatives du personnel n’ont pas été associées à l’évaluation des risques que la direction aurait menée.

L’évaluation systématique et précise des risques liés à l’épidémie pour chaque situation de travail
 

Outre l’absence d’association des représentants du personnel à l’évaluation des risques, le syndicat soutient que la société n’a pas évalué de manière systématique et précise les risques liés à l’épidémie pour chaque situation de travail.

L’Union syndicale Solidaires soutient en premier lieu que la société n’a pas mis en place d’outil permettant un suivi des cas de salariés suspectés ou porteurs du virus, ni de process définissant les actions à mener lorsque de tels cas surviennent.

Elle indique également qu’aucune méthode n’a été présentée au personnel afin de déterminer quels sont les salariés qui ont été au contact des personnes infectées.

Elle précise que le nombre de personnes dispensées d’activité suite à une personne diagnostiquée est différent à Saran et à Brétigny.

La société soutient que depuis le 13 mars, un échange quotidien d’information a lieu entre les équipes support (ressources humaines , directeur d’établissement), les équipes sécurité et les équipes préventions sur les éventuels cas de salariés confirmés ou suspectés d’avoir contracté le Covid 19 et la mise en oeuvre des procédures adaptées.

Elle précise la procédure prévue lorsqu’une personne est détectée positive au Covid 19 alors qu’elle était déjà présente sur site au moment de l’apparition des symptômes et que cette procédure prévoit notamment d’identifier les personnes qui ont eu des contacts étroits avec le salarié infectée en interrogeant directement le salarié concerné, en analysant les informations relatives à ses horaires et ses activités et en visionnant les enregistrements de vidéosurveillance correspondant aux heures de travail du salarié, aux zones de travail et aux espaces collectifs.

S’il résulte des premiers contrôles de l’inspection du travail que la procédure mise en oeuvre en cas de contamination de salariés n’était pas suffisamment précise et explicite et qu’il convenait de renforcer l’information des encadrants de proximité afin qu’ils puissent prendre toutes les mesures nécessaires pour déterminer rapidement les salariés ayant eu des contacts étroits avec les salariés contaminés et appliquer les mesures de quatorzaine nécessaires, les courriers en réponse de la société aux observations de l’inspection du travail ainsi que les derniers courriers de l’inspection du travail établissent que des outils de suivi des cas d’infection avérés ou suspectés et des mesures pour protéger les salariés qui pourraient avoir été en contact avec eux ont effectivement été mis en place par la société.

Les demandes fondées sur le défaut de recensement et d’outils de suivi des cas de contamination seront par conséquent rejetées.

Le portique tournant d’entrée

S’agissant du risque de contamination à l’entrée de tous les sites, il est constant que tous les salariés empruntent un portique tournant.

Ce point a été confirmé à l’audience par la direction.

La société justifie le maintien de l’utilisation de ce portique pour des motifs de sécurité liés au risque incendie.

Cependant l’inspecteur du travail, connaissance prise de cette argumentation, dans sa lettre du 10 avril 2020, faisant suite à la contre-visite effectuée le 8 avril sur le site de Brétigny sur Orge, a réitéré sa recommandation soit de procéder à l’enlèvement du portique, celui-ci constituant une source de contamination importante, soit de maintenir la porte adjacente ouverte.

Il ajoute avoir observé que les salariés sont amenés à le pousser avec leurs vêtements pour les plus vigilants et dans le pire des cas avec leurs mains et qu’il paraît techniquement impossible de procéder au nettoyage systématique de ces portiques tournants après chaque passage sans générer de nouveaux risques : augmentation de la file d’attente certaines heures et non-respect des mesures de distanciation sociale.

Si l’inspecteur du travail a levé la mise en demeure adressée s’agissant du site de Sevrey, cette dernière décision ne fait pas disparaître le risque de contamination à l’entrée dès lors que chaque salarié de tous les établissements doit utiliser ce portique tournant pour pénétrer dans l’établissement, le respect des distances entre chacun et l’utilisation possible de gel hydroalcoolique désormais fourni individuellement à l’entrée à chaque salarié n’étant pas des mesures suffisantes.

Il convient en effet de relever que le nombre de salariés qui prennent leur poste en même temps demeure élevé ( entre 150 et 450 sur les mêmes horaires) selon les déclarations faites à l’audience par la direction de la société même si les horaires ont été divisés entre 3, 4 voire 5 horaires différents.

Cette dernière a confirmé à l’audience qu’une solution alternative pour l’entrée des salariés était à l’étude.

Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.

L’utilisation des vestiaires

A propos de l’utilisation des vestiaires, des moyens de désinfection ont été mis à disposition en quantité suffisante pour permettre aux salariés de nettoyer la porte et le système de fermeture de l’armoire vestiaire, selon les dernières constatations de l’inspection du travail indiquées dans sa lettre du 10 avril 2020 après sa contre visite dans l’établissement de Lauwin Planque.

La société a finalement décidé à titre de mesure de prévention de restreindre l’accès à l’usage des vestiaires aux seuls salariés qui viennent au travail en transport en commun ou en motocyclette.

L’évolution des mesures ainsi prises pose des difficultés au regard de l’obligation légale de l’employeur de mettre à disposition des salariés des équipements collectifs équipés d’armoires vestiaires, conformément aux dispositions des articles R 4228-1 et suivants du code du travail, afin de répondre notamment au respect des règles d’hygiène.

Il a été constaté en effet par le syndicat que des salariés déposaient leurs manteaux les uns à côté des autres sur des rambardes à proximité de leur poste de travail ce qui génère de nouveaux risques de contamination.

Par ailleurs, la solution d’autoriser les salariés à apporter leur manteau sur leur poste de travail et à le déposer sur place ne fait pas l’objet d’une formalisation dans un document.

En outre, l’accès au vestiaire du service maintenance ne fait pas l’objet de cette formalisation comme l’a relevé l’inspecteur du travail sur le site de Lauwin Planque le 8 avril , alors qu’il s’agit d’un local spécifique, exigu au regard des règles de distanciation sociale, rendant nécessaires également des mesures pour assurer le respect effectif de ces règles.

A cet égard la seule présence d’ambassadeurs hygiène et sécurité à l’entrée des vestiaires n’apparaît pas suffisante à assurer le respect de ces règles dès lors qu’aucune directive n’est donnée à ces salariés quant au nombre maximum de salariés pouvant occuper simultanément les lieux.

Il découle de ces constatations les plus récentes que le risque de contamination s’agissant de l’utilisation des vestiaires y compris, à l’issue des réorganisations opérées, n’a pas fait l’objet d’une évaluation suffisante.

Les plans de préventions avec les entreprises extérieures

A propos des plans de prévention avec les entreprises extérieures, la société en a justifié pour certains d’entre eux y compris à l’issue des contrôles et des mises en demeure de l’inspection du travail.

Ainsi, l’inspection du travail avait demandé le 1er avril leur transmission après actualisation pour l’établissement de Brétigny sur Orge ( nettoyage, restauration, maintenance et transporteurs etc…).

A l’égard des transporteurs cependant, il n’est toujours pas justifié des protocoles de sécurité prévus par les dispositions des articles R 4515-4 et suivants du code du travail.

Les opérations de chargement ou de déchargement doivent en effet faire l’objet d’un document écrit comprenant les informations utiles à l’évaluation des risques de toute natures générés par l’opération ainsi que les mesures de prévention et de sécurité à observer à chacune de ces phases de réalisation intégrant les risques liés à l’épidémie du Covid 19.

Des préconisations ont été émises également à ce sujet par l’inspection du travail après la contre visite dans l’établissement de Lauwin Planque à propos des mesures de désinfection des mains des chauffeurs.

L’inspection du travail intervenue sur l’établissement de Montélimar dans sa mise en demeure du 7 avril 2020 a maintenu sa demande d’actualisation des plans de prévention avec les entreprises extérieures (nettoyage, sécurité et les deux entreprises de travail temporaire).

Si la société communique la lettre adressée le 7 avril en réponse à la lettre d’observation à la mise en demeure elle ne justifie pas d’une réponse ni d’un recours à l’égard de cette mise en demeure.

Dans cette lettre en réponse , la société indique avoir adressé par courriel du 6 avril les mises à jour de ces plans de prévention pour les entreprises de nettoyage, de sécurité et les protocoles de chargement et de déchargement actualisés.

Il n’est pas justifié de cet envoi tandis que l’inspection du travail a maintenu sa demande d’actualisation dans la mise en demeure.

Par conséquent il n’est pas justifié de l’intégralité des plans de prévention avec toutes les entreprises extérieures.

La justification des protocoles de nettoyages mis en place en concertation avec les représentants du personnel

S’il n’est pas contesté que la fréquence des nettoyages a été augmentée, il n’est cependant pas justifié avec suffisamment de précision des protocoles mis en place.

Cela est le cas, par exemple, du nettoyage des chariots automoteurs sur les quais de livraison ( cf lettre de mise en demeure de l’inspection du travail du 7 avril pour l’établissement de Montélimar). Dans la lettre en réponse de la direction de cet établissement à la lettre d’observation préalable à la mise en demeure, il est fait état des protocoles de nettoyage actualisés mais l’annexe citée n’est pas communiquée.

Il en ressort que si des mesures ont été prises et que l’organisation du travail a été constamment modifiée pour répondre à l’évolution de la situation, la société ne justifie pas que les nouveaux process ont été formalisés.

En outre, il n’est pas justifié que ces changements, opérés sans concertation préalable avec les représentants du personnel, auraient été portés de manière appropriée à la connaissance des salariés.

Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.

Les risques liés à la manipulation des colis qui passent de main en main

S’agissant des risques liés à la manipulation des colis qui passent de main en main, la société répond que le syndicat ne justifie pas que le contact des objets pourrait générer un risque pour les personnes et en tout état de cause qu’il n’existe pas de recommandations gouvernementales quant aux mesures de désinfection des objets, les mesures barrières permettant une protection efficace contre le risque de contamination.

La société reconnaît cependant le risque de contamination par le contact d’objet en carton, puisqu’elle fait état dans l’une des diapositives de l’outil de formation communiqué ( pièce 8 A) de la durée de présence du virus sur différents types de supports dont le carton pendant 24 heures, citant une étude d’une université américaine.

Elle justifie dans les DUERP avoir identifié le risque de propagation microbien ou viral par des marchandises provenant d’autres pays.

Cette identification résulte du seul DUERP entièrement lisible produit aux débats.

Le DUERP mentionne au titre des mesures à prendre : « néant aucun risque puisque les cartons mettent plusieurs semaines avant d’arriver ».

Il en résulte que le risque de contamination tenant aux manipulations successives des objets depuis la réception dans l’établissement à la livraison par les chauffeurs, ne fait pas l’objet d’une évaluation dans les DUERP.

Le seul fait d’affirmer que les gestes barrières permettent une protection efficace ne répond pas à l’obligation d’évaluer préalablement les risques avant de définir les mesures de sécurité et de prévention nécessaires.

L’effectivité des mesures de distanciation sociale

A propos de l’effectivité des mesures de distanciation sociale, on peut observer qu’au cours de leurs contre-visites, les inspecteurs du travail ont encore constaté des non respects ponctuels entraînant des situations de travail rapprochées par exemple entre conducteurs de transpalettes et opérateurs sur postes fixes, entre salariés de l’entreprise et prestataires de nettoyage dont le nombre a augmenté ( cf lettre de l’inspection du travail du 10 avril pour le site de Lauwin Planque).

Enfin les constats d’huissier versés aux débats par la société ne sont pas probants s’agissant du respect par les salariés des mesures de distanciation.

Ainsi, l’huissier dont la mission était de procéder à toute constatation utile indique dans son constat établi le 8 avril 2020 (pièce 2 A), à propos de la photographie no 57 qu’il constate que les casiers ont été condamnés et que la traversée de la salle des casiers a été organisée au moyen de caissettes afin d’individualiser les flux, cette traversée étant à sens unique.

Or, on peut observer sur cette photographie la présence en arrière plan de quatre personnes proches les unes de autres sans que le constat n’apporte d’indication sur le respect ou non par ces dernières des règles de distanciation sociale.

De façon générale, il convient de relever que la plupart des photographies annexées à ces constats comportent un nombre très faible voire inexistant de personnels dans les locaux de l’entreprise qui n’apparaissent pratiquement jamais au premier plan, les constatations portant en réalité sur la seule mise en place des mesures et notamment de la signalétique et la gestion des flux et non sur leur respect par les salariés.

Les outils de contrôle

A propos des outils de contrôle, la société Amazon indique avoir affecté 350 salariés, ambassadeurs hygiène et sécurité, à une nouvelle mission consistant à garantir le respect par les salariés des mesures barrières et des consignes de sécurité et de prévention du risque de contamination.

Elle indique en outre que l’équipe sécurité procède à des audits quotidiens sans en justifier.

S’agissant de la visite chaque jour avec état des lieux qui a été également mise en place avec les représentants du personnel, elle ne communique pas non plus les comptes-rendus de ces visites.

Selon le syndicat il s’agit de documents établis unilatéralement par la société.

L’absence de communication de ces documents ne met pas la juridiction en mesure de vérifier le caractère adapté des mesures mises en oeuvre.

Or il appartient à la société de justifier de l’effectivité y compris dans le temps des mesures prises comme rappelé par les inspecteurs du travail dans leur lettre d’observation du 10 avril 2020.

Les actions d’information et de formation

L’article L4121-1 du code du travail énonce, parmi les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs, l’existence d’actions d’information et de formation.

Si la société AMAZON justifie de la mise en place de certaines mesures d’information et de communication, l’inspection du travail l’a néanmoins mise en demeure de justifier d’une formation renforcée à l’attention des personnels (cf lettre de l’inspection du travail du 3 avril à propos du site de Saran).

Le dispositif de formation présenté par la société en réponse à cette mise en demeure et déployé à compter du 25 mars 2020, est cependant insuffisant, en ce qu’il apparaît peu adapté à la mise en application à chaque poste de travail.

Ainsi aucune formation particulière n’est dispensée sur l’emploi des gants, alors même qu’il est indiqué aux salariés que ces gants peuvent servir de support au virus.

Dans ses conclusions la société a fait état de ce qu’elle déploie actuellement une nouvelle campagne de formation et de sensibilisation complémentaire rappelant les mesures de prévention mises en place dans les sites à l’ensemble des salariés, travailleurs temporaires et prestataires de services, ce dont elle ne justifie pas.

Il en résulte que les mesures de formation des personnels ne sont pas ni suffisantes et ni adaptées au regard des risques élevés de contamination liés à la nature de l’activité de l’entreprise.

L’évaluation des risques psycho-sociaux
 

Le syndicat expose que les risques psycho-sociaux ne sont pas évalués dans les DUERP notamment en lien avec le risque épidémique d’une part et d’autre part en raison des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque.

La société se contente d’affirmer qu’elle a rempli son obligation, sans produire aucun élément à l’appui de cette affirmation ainsi que le souligne l’inspecteur du travail au sujet de l’établissement de Lauwin Planque.

Il est en effet particulièrement nécessaire que cette évaluation rende compte des effets sur la santé mentale induits notamment par les changements organisationnels incessants (modification des plages de travail et de pause, télétravail, …), les nouvelles contraintes de travail, la surveillance soutenue mise en place quant au respect des règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de l’entreprise.

Il ressort de l’ensemble des pièces communiquées et des débats d’audience que si la société AMAZON a effectué une évaluation des risques induits par l’épidémie du virus Covid 19, cette dernière est insuffisante et la qualité de celle-ci ne garantit pas une mise en œuvre permettant une maîtrise appropriée des risques spécifiques à cette situation exceptionnelle.

Par conséquent, la société Amazon France Logistique a, de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.

Le non-respect de cette obligation rend également nécessaire de prévenir un dommage imminent constitué par la contamination d’un plus grand nombre de salariés et par suite la propagation du virus à de nouvelles personnes.

Sur les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite et à prévenir le dommage imminent
 

Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire et eu égard au caractère hautement contagieux du virus, alors que l’épidémie continue de se propager, que les services de santé demeurent surchargés et que chaque personne est un vecteur potentiel de transmission du virus, il appartient à la société, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de ses salariés, des mesures complémentaires de nature à prévenir ou à limiter les conséquences de cette exposition aux risques.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il y a lieu, afin de faire cesser ce trouble manifestement illicite et pour prévenir ce dommage imminent, d’ordonner, conformément aux dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux tant que la société n’aura pas mis en oeuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi que les mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant.

Afin d’assurer l’effectivité des mesures ordonnées, il convient d’assortir cette décision d’une astreinte dont le montant doit être proportionné aux moyens financiers de la société.

Cette dernière ne contestant pas l’affirmation du syndicat selon laquelle son chiffre d’affaires réalisé en 2018 s’élevait à 431 263 800 d’euros, et était en progression depuis, y compris pendant la période de confinement, il apparait nécessaire, afin d’assurer le respect de la présente décision, de fixer le montant de cette astreinte à la somme de 1.000.000 d’euros par jour et par infraction constatée.

Sur les autres mesures sollicitées
 

La reprise de l’activité normale de l’entreprise étant subordonnée à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi qu’à la mise en oeuvre des mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres demandes présentées en tout état de cause par le demandeur ni d’ordonner une astreinte spécifique pour s’assurer du respect de ces obligations, les mesures provisoires ordonnées étant suffisamment efficaces pour inciter l’entreprise à respecter ses obligations.

La présente décision est rendue publiquement. Il appartient par conséquent aux parties d’en assurer la diffusion selon les modalités qu’elles estiment nécessaire sans qu’il n’y ait lieu d’en ordonner la transmission aux personnels.

Tenue aux dépens la société Amazon France Logistique versera à l’Union Syndicale Solidaires la somme de 4.800 euros TTC au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire. »

Tribunal judiciaire de Nanterre, ord., 14 avr. 2020, no 20/00503, L’Union syndicale Solidaires et a. c/ SAS Amazon France Logistique

Vos avis sur Maître Eric ROCHEBLAVE

Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
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