CV mensonger : quels sont les risques et sanctions en droit du travail ?
Un diplôme inventé. Une expérience gonflée. Une omission « stratégique ».
Un CV mensonger, ça commence souvent par un détail. Mais ça peut finir devant un juge.
📌 L'actualité nous le rappelle avec la controverse autour de Sébastien Lecornu : mentionner un diplôme non validé peut ébranler la confiance entreprise jusque dans les plus hautes fonctions.
⚖️ En droit du travail, la règle est claire :
👉 Mentir sur un élément déterminant de son parcours, c'est une manœuvre dolosive.
👉 Les conséquences ? Licenciement, nullité du contrat, voire condamnation pénale.
🎯 Derrière chaque litige que je plaide, je vois la même mécanique :
- Un employeur qui croit recruter un profil solide.
- Un salarié qui, par peur ou par ambition, enjolive un CV.
- Et, tôt ou tard, la vérité qui rattrape tout le monde.
Un CV, c'est une promesse. Quand elle est fausse, c'est la confiance qui s'effondre.
Et sans confiance, ni contrat de travail… ni contrat social.
Le CV est souvent la première porte d'entrée vers un emploi ou une fonction. Il reflète le parcours du candidat et ses compétences.
Mais lorsqu'il comporte des informations inexactes ou falsifiées, les conséquences peuvent être lourdes : licenciement, annulation du contrat, voire condamnation pénale.
L'actualité récente le rappelle : le Premier ministre Sébastien Lecornu est accusé d'avoir indiqué dans ses biographies officielles un diplôme de droit qu'il n'a jamais validé.
« Sébastien Lecornu n'a jamais validé le diplôme de droit qu'il prétendait avoir », Mediapart,
« Sébastien Lecornu : Le Premier ministre reconnaît ne pas avoir fini le cursus mentionné sur son CV », 20 Minutes
« Il a été pris la main dans le sac : le Premier ministre Sébastien Lecornu n'est pas diplômé d'un master, ce qu'il prétend depuis des années », Midi Libre
Cette controverse met en lumière une question essentielle : quels sont les risques juridiques d'un CV mensonger ?
Qu’est-ce qu’un CV mensonger ?
Un CV mensonger est un document volontairement falsifié ou dissimulant une information essentielle. Le dol, au sens de l'article 1137 du Code civil, se définit comme le fait d'obtenir le consentement de l'autre partie par des manœuvres, des mensonges ou la dissimulation d'une information dont on sait le caractère déterminant.
Plusieurs situations jurisprudentielles illustrent ce type de fraude :
CV mentionnant des diplômes dont l’intéressé n’est pas titulaire
Une salariée a été licenciée pour insuffisance professionnelle après avoir menti sur son CV. Elle s'était présentée comme titulaire d'une licence et d'un Master II en communication, alors qu'elle ne possédait en réalité qu'un titre Bac+3. Ce mensonge avait joué un rôle décisif dans son embauche et dans l'attribution d'un poste de responsable de la communication, jusque-là confié à un diplômé de Master II. La justice[1] a estimé que l'absence de qualifications réelles expliquait les insuffisances constatées et a validé le licenciement, jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Dans une autre affaire, une salariée avait falsifié son CV en se présentant comme polytechnicienne, ce qui lui avait permis d'obtenir un salaire élevé. La justice pénale a reconnu l'escroquerie et relevé que, sans ce mensonge, l'employeur n'aurait jamais accepté de conclure le contrat à de telles conditions. Le dol étant caractérisé, le contrat de travail a été annulé[2].
CV mentionnant une expérience professionnelle inexistante
Un salarié qui dissimule volontairement sa véritable situation professionnelle commet une faute lourde de conséquences. La justice[3] rappelle que faire croire à un employeur que l'on travaille dans une entreprise alors que ce n'est pas le cas constitue une manœuvre dolosive. Si cette fausse information a pesé sur la décision d'embauche, elle peut justifier pleinement un licenciement.
CV mentionnant une durée d’expérience professionnelle supérieure à la réalité
Une candidate a obtenu une promesse d'embauche en dissimulant la réalité de son parcours. Dans son CV, sa lettre de motivation et même sur LinkedIn, elle affirmait toujours travailler pour la banque RBC, alors que son contrat y avait pris fin plusieurs mois plus tôt. Ce faux renseignement lui permettait d'afficher une expérience en droit du travail bancaire plus longue qu'en réalité. L'employeur, Amex, n'a découvert la supercherie qu'après coup, en vérifiant ses documents. La justice[4] a retenu des manœuvres dolosives constitutives de dol et a annulé la promesse d'embauche.
CV occultant le dernier employeur
Un salarié a volontairement caché à son futur employeur l'existence d'un précédent poste, avec lequel il était en litige, afin d'empêcher toute vérification de son parcours. La justice a considéré qu'une telle omission constituait une manœuvre frauduleuse destinée à tromper l'employeur. Cette dissimulation suffit à elle seule à justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse[5].
CV mentionnant une fausse identité
Fournir une fausse carte d'identité, une fausse adresse et un faux numéro de sécurité sociale constitue une fraude caractérisée. La justice[6] estime que ces manœuvres dolosives ont trompé l'employeur et faussé son consentement. Elles justifient l'annulation pure et simple du contrat de travail.
CV indiquant faussement « libre de tout engagement »
Une salariée avait affirmé être libre de tout engagement alors qu'elle était toujours liée par une clause de non-concurrence avec son ancien employeur. La justice[7] a considéré qu'il s'agissait de manœuvres dolosives ayant trompé l'employeur et faussé son consentement. Le contrat de travail a donc été annulé.
CV mensonger sur l’indisponibilité en raison de l’état de santé
Une salariée, déjà en arrêt de travail chez son précédent employeur, a caché son incapacité à occuper le poste proposé alors qu'elle savait ne pas pouvoir travailler aux dates prévues. La justice a estimé qu'il s'agissait d'un dol, l'information dissimulée étant déterminante pour l'embauche. Sur ce fondement, le contrat de travail a été annulé[8].
Actualité : le "cas" Sébastien Lecornu
Le 19 septembre 2025, les médias ont révélé que Sébastien Lecornu, nouveau Premier ministre, aurait mentionné à plusieurs reprises dans son CV et dans ses biographies officielles un master de droit public à l'Université Paris-2 Panthéon-Assas qu'il n'aurait en réalité jamais validé.
- Sur LinkedIn, Who's Who ou dans les fiches ministérielles, la mention « diplômé » aurait été affichée.
- Son entourage aurait finalement reconnu qu'il aurait suivi ce cursus mais ne l'aurait pas achevé.
- Depuis, ces informations auraient été corrigées pour indiquer simplement « études de droit ».
Cette situation illustre parfaitement la catégorie de CV mensonger relatif aux diplômes non détenus que la jurisprudence sanctionne sévèrement dans le cadre des relations de travail.
- Dans le secteur privé, un tel mensonge peut entraîner l'annulation du contrat de travail si le diplôme était une condition déterminante de l'embauche.
- Il peut aussi justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, voire des poursuites pénales en cas d'escroquerie.
- Dans la sphère publique, la question se déplace vers la responsabilité politique et déontologique, mais le principe reste le même : la loyauté et la transparence sont exigées.
Cet exemple montre que le problème du CV mensonger ne concerne pas seulement les salariés ou les candidats à l'embauche, mais peut aussi ébranler la confiance dans les institutions.
Comment se défendre contre un CV mensonger ?
Vérification des mentions du CV
La justice[9] rappelle que c'est à l'employeur de vérifier, dès l'embauche, les diplômes exigés pour le poste. S'il ne procède pas à cette vérification, il ne peut ensuite se dire trompé par le salarié ni invoquer une fraude pour contester l'embauche.
Réactivité nécessaire
La justice[10] considère qu'un employeur ne peut invoquer un mensonge ou une irrégularité plus d'un an après l'embauche, s'il n'apporte pas la preuve de la date à laquelle il en a réellement pris connaissance.
Charge de la preuve
L'employeur doit prouver :
- Les mentions mensongères du CV
- Le caractère déterminant du mensonge dans l'embauche
La justice[11] rappelle qu'un mensonge dans un CV n'est pas toujours fautif, mais qu'il le devient lorsqu'il concerne un élément essentiel ayant déterminé le choix de l'employeur pour l'embauche.
Quelles sont les conséquences d’un CV mensonger ?
Le mensonge est un dol.
La justice rappelle[12] que, selon les articles 1130 et 1137 du code civil, le consentement est vicié par l'erreur, le dol ou la violence lorsqu'ils ont déterminé la conclusion du contrat. Le dol peut résulter de manœuvres, de mensonges ou encore de la dissimulation intentionnelle d'une information essentielle pour l'autre partie.
Un CV mensonger caractérise des manœuvres dolosives, constitutives d'un dol :
- « qui entachent de nullité une promesse d'embauche »[13]
- « pouvant justifier un licenciement » [14]
La Cour de cassation a jugé que le fait qu' un « salarié ait volontairement dissimulé la réalité de sa situation professionnelle en faisant croire qu'il avait engagé par une entreprise et qu'il était avéré que la présence alléguée du salarié dans cette entreprise avait été déterminante pour l'employeur » fait ressortir l'existence de manœuvres dolosives pouvant justifier un licenciement[15]
Conclusion
La controverse autour de Sébastien Lecornu illustre de manière spectaculaire combien la question du CV mensonger peut ébranler la confiance.
En droit du travail, un CV mensonger constitue une manœuvre dolosive susceptible de fausser le consentement de l'employeur et d'entraîner des sanctions lourdes : licenciement, nullité du contrat, voire poursuites pénales.
Pour les salariés comme pour les responsables publics, la transparence est un impératif.
Pour les employeurs, la vigilance est tout aussi nécessaire : il leur appartient de vérifier les diplômes et expériences mentionnés.
Le droit du travail sanctionne sévèrement toute atteinte à la confiance qui doit régir la relation contractuelle.
Et l'actualité démontre que ces principes dépassent le seul cadre professionnel : ils touchent aussi au cœur de la vie politique.
[1] Cour d'appel de Paris - Pôle 06 ch. 11 18 janvier 2022 / n° 19/10799
[2] Cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 3 4 septembre 2024 n° 23/00680
[3] Cour de cassation - Chambre sociale 25 novembre 2015 n° 14-21.521
[4] Cour d'appel de Versailles - ch. 15 17 mars 2021 / n° 18/04060
[5] Cour d'appel de Riom 13 octobre 2009 / n° 08/02902
[6] Cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 3 23 octobre 2024 n° 21/09489
[7] Cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 8 26 septembre 2024 n° 22/00985
[8] Cour d'appel de Reims - Chambre sociale 25 octobre 2023 n° 22/01759
[9] Cour d'appel de Versailles - ch. 11 11 avril 2019 / n° 16/04346
[10] Cour d'appel de de Paris - ch. 22 A 18 octobre 2006 / n° 05/02956
[11] Cour d'appel de Riom 13 octobre 2009 / n° 08/02902
[12] Cour d'appel de Versailles - ch. 15 17 mars 2021 / n° 18/04060
[13] Cour d'appel de Versailles - ch. 15 17 mars 2021 / n° 18/04060
[14] Cour de cassation - Chambre sociale 25 novembre 2015 n° 14-21.521
[15] Cour de cassation - Chambre sociale 25 novembre 2015 n° 14-21.521
Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
Eric ROCHEBLAVE
PORTRAIT D'UN SPECIALISTE
Parcours, succès judiciaires, avis clients, revue de presse…
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/
Lauréat de l'Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier
Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier
DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d'Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d'Informatique Juridique
Vos avis sur Maître Eric ROCHEBLAVE