Auto-entrepreneur : comment faire reconnaître votre qualité de salarié dissimulé ?

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Faux travailleur indépendant mais vrai travailleur salarié
Comment demander la requalification d’un contrat de prestation de services en contrat de travail ?
Maître Eric ROCHEBLAVE vous conseille et vous défend

Vous considérez que la période pendant laquelle vous avez travaillé pour une société ou une personne physique en qualité d’auto-entrepreneur doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée ?

Vous devez saisir le Conseil de Prud’hommes.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

Le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence d’un lien de subordination n’est pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation, notamment pour les salariés qui ont un haut niveau de qualification.

Il doit encore être précisé que le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

L’existence d’une présomption de non salariat est applicable aux personnes régulièrement déclarées en qualité de travailleur indépendant, dans les conditions énoncées par l’article L.8221-6 du code du travail, tel que cela est le cas pour les bénéficiaires du statut d’autoentrepreneur.

L’article L 8221-6 du code du travail dispose en effet que :

«  I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 214-18 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;

II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui ci. (…) ».

Cette présomption simple est néanmoins susceptible d’être renversée lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.

Ainsi, si une telle personne recevait en fait des directives précises et insusceptibles de discussion de la part du gérant de la société, si elle était considérée comme un agent d’exécution des directives de la société, et si elle percevait une rémunération de celle-ci, elle exerçait en réalité son activité dans un lien de subordination à l’égard de la société.

Celui qui revendique la qualité de salarié, doit donc renverser cette présomption en démontrant avoir été placé quant à l’organisation de son travail sous l’autorité d’un employeur qui avait le pouvoir de lui donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses éventuels manquements.

A cette fin, celui qui revendique la qualité de salarié doit rapporter la preuve matériellement vérifiable de différents éléments relevant de la méthode du faisceau d’indices.

A ce titre, il peut invoquer, à titre d’exemples non exhaustifs :

  • l’existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur pour des fonctions identiques dont la réalité est établie par les contrats de travail à durée déterminée et les certificats de travail communiqués,
  • le respect de consignes et d’horaires précis
  • la fourniture du matériel et des locaux
  • l’intégration à une équipe de travail salariée
  • la facturation de ses interventions à un taux imposé
  • le pouvoir d’annulation des formations sans contrepartie
  • le choix de ne plus faire appel à l’autoentrepreneur s’apparentant à une sanction
  • etc.

L’ensemble de ces éléments peut suffire à établir que l’autoentrepreneur se trouvait dans un lien de dépendance économique envers son co-contractant avec lequel il réalisait la majorité de son chiffre d’affaire.

Dès lors que le lien de subordination est caractérisé, il est fait droit à la demande de requalification sollicitée et dit que les parties ont été liées par un contrat de travail à durée indéterminée à compter de la date du premier contrat conclu.

Suite à la requalification de la relation en contrat de travail, il appartient à l’employeur de justifier du paiement du salaire, l’établissement de bulletins de paye étant insuffisant à lui seul à démontrer que ce dernier à bien été versé.

Le « faux » travailleur indépendant a droit à un rappel de salaire sur la période requalifiée outre les congés payés afférents.

Eu égard à l’existence du contrat de travail dont le Conseil de Prud’hommes reconnait l’existence, en cas de rupture de la relation contractuelle, à défaut de lettre énonçant les motifs du licenciement conforme aux dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, le licenciement du faux autoentrepreneur est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités de rupture et de dommages intérêts.

L’application combinée des dispositions des articles L8221-5 et L8223-1 du code du travail conduit à accorder une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire pour travail dissimulé au travailleur dont l’employeur s’est intentionnellement soustrait à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance de bulletins de paie ainsi qu’aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale.

Par ailleurs, le « faux » auto-entrepreneur peut faire valoir à juste titre avoir subi un préjudice spécifique durant la relation contractuelle, résultant de la privation des avantages et différentes mesures de protection applicables aux salariés en étant maintenu dans un statut précaire.

Il est en effet constant que l’absence de reconnaissance du statut de salarié par l’entreprise qui le fait travailler prive le « faux » travailleur indépendant de tout suivi par la médecine du travail, des avantages issus d’une convention collective ; qu’aucun contrôle sur la durée du travail et du repos hebdomadaire n’est pratiqué par l’entreprise, que ce travailleur ne peut référer de ses conditions de travail à quiconque.

Il est également constant que cette précarisation est illustrée par la privation de l’accès à toute formation professionnelle et l’absence d’un compte personnel de formation, ainsi que l’absence de mutuelle d’entreprise obligatoire depuis janvier 2016.

 

Cour d’appel de Toulouse – ch. 04 sect. 02 ch. sociale 29 janvier 2021 / n° 21/161

 

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Eric ROCHEBLAVE
Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/