Infirmières libérales : la CPAM doit motiver précisément ses notifications de payer un indu

En France, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) peut, à l’issue d’un contrôle, réclamer à un professionnel de santé le remboursement de sommes qu’elle estime indûment versées. Cette procédure prend la forme d’une notification de payer un indu, dont le contenu est strictement encadré par le Code de la sécurité sociale.

Encore faut-il que cette notification respecte les exigences légales de motivation. En l’absence de précision sur la nature des actes concernés, les montants remboursés à tort, les dates des versements ou les pièces justificatives, la procédure peut être annulée.

L’affaire récemment jugée par la Cour d’appel de Riom en est une parfaite illustration : une infirmière libérale a obtenu l’annulation d’un indu de plus de 6 000 euros, faute pour la CPAM d’avoir apporté la preuve d’une notification suffisamment motivée.




 

CPAM de l’Allier déboutée : la notification d’indu était irrégulière et insuffisamment motivée

Une infirmière libérale « conteste la régularité formelle de la notification d'indu, qu'elle estime insuffisamment motivée au motif que les considérations de fait et de droit fondant ne sont pas exposées. Elle ajoute que la CPAM ne rapporte pas la preuve qu'elle a reçu le tableau d'anomalies sur lequel elle s'appuie pour justifier l'indu, et qu'en tout état de cause, la communication de ce tableau par courriel, postérieurement à la notification d'indu, est irrégulière puisque cette pratique prive le professionnel de santé de la possibilité d'avoir une connaissance exacte et exhaustive de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation lors de la notification de l'indu. Elle déduit de cette considération qu'à la lecture de la notification d'indu, qui constitue le seul document communiqué par la CPAM, elle n'a pas pu prendre connaissance de la cause et de la nature de l'indu, ni identifier la date des versements supposément indus, ce dont elle déduit que la notification d'indu, entachée d'irrégularité, encourt l'annulation »

En appel, la juridiction a confirmé l’annulation de l’indu. La Cour d’appel de Riom a considéré que la CPAM ne justifiait pas avoir transmis, de manière conforme et probante, les documents détaillant les sommes réclamées. Elle a ainsi rappelé les exigences posées par l’article R. 133-9-1 du Code de la sécurité sociale, qui impose une motivation claire, complète et documentée de la notification de payer un indu.

Une notification d’indu doit permettre une identification précise des sommes réclamées

L’article R. 133-9-1[1] du Code de la sécurité sociale impose que la notification de payer un indu :

  • précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées,
  • indique la ou les dates des versements considérés comme indus,
  • mentionne les voies et délais de recours,
  • et soit transmise par un moyen permettant de prouver sa date de réception.

La CPAM peut joindre un tableau récapitulatif, à condition que ce document permette au professionnel de santé d’avoir une connaissance exacte et exhaustive de la nature de l’indu.

Toute transmission postérieure ou incomplète est susceptible d’entacher la procédure de nullité.

En l’absence de preuve d’envoi du tableau justificatif, la procédure échoue

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Riom, la CPAM de l’Allier avait indiqué dans sa lettre de notification du 30 janvier 2020 que le tableau détaillé des anomalies serait transmis par messagerie sécurisée. Le lien permettant d’accéder à ce fichier était toutefois limité dans le temps à cinq jours.

Or, la CPAM n’a pas rapporté la preuve de l’envoi de ce tableau ni de la date de transmission effective. En outre, le document produit devant la juridiction ne portait que sur un assuré unique et ne couvrait pas l’intégralité de l’indu notifié, qui s’élevait à 6 161,58 euros.

Ainsi, les éléments communiqués ne permettaient pas d’identifier l’ensemble des actes concernés, ni de connaître les montants précis remboursés à tort.

Ce qu’a jugé la Cour d’appel de Riom : absence de motivation suffisante

La Cour d'appel de Riom a jugé[2] :

« La cour constate que la lettre du 30 janvier 2020 portant notification de l'indu, produite en copie par la CPAM en pièce n°2, mentionne la période sur laquelle le contrôle administratif a été opéré, le montant de l'indu total réclamé, soit 6.161,58 euros, et la nature des anomalies constatées. Il est par ailleurs inséré la mention suivante : « Vous trouverez en annexe le récapitulatif des constats effectués. Le tableau détaillé par assuré vous sera adressé par messagerie sécurisée. Le mail envoyé à l'adresse suivante : [Courriel 6] comporte un lien à partir duquel vous pouvez télécharger le fichier. Attention, ce lien est actif seulement 5 jours. Après ce délai, nous devrons vous l'adresser à nouveau. » Enfin, le courrier comporte un avis à procéder, selon différentes modalités qui sont listées, au paiement dans un délai de deux mois à compter de sa réception, et précise la possibilité de saisir la commission de recours amiable dans ce même délai.

La pièce n°2 de la CPAM contient, outre la copie de la lettre portant notification d'indu, un tableau détaillé d'anomalies concernant un unique assuré, nommé [T] [S], inscrit à la sécurité sociale sous le n°[Numéro identifiant 3], exposant de façon précise les informations nécessaires à l'identification de chaque acte au titre duquel un indu a été constaté : le numéro de prescripteur, la date de la prescription, la date des actes avec indication de leur cotation, le montant payé, le taux de remboursement, le montant remboursé et celui de l'indu, les observations sur la nature de l'anomalie relevée, le numéro de lot et de facture, le numéro d'archive et enfin, la date du paiement, la dernière page faisant, en outre, apparaître le montant total de l'indu, soit 2.382,70 euros.

La cour ignore, au vu de la mention de la lettre de notification d'indu annonçant l'envoi d'un tableau détaillé par messagerie sécurisée, si le tableau détaillant les actes considérés comme indument payés pour l'assuré [T] [S] a été annexé à la notification d'indu, ou s'il est concerné par l'envoi annoncé par messagerie sécurisée. La cour constate, en outre, que la CPAM ne démontre pas la date à laquelle elle aurait adressé le tableau détaillé par messagerie sécurisée à Mme [Y], de sorte que ni la réalité de l'envoi, ni, s'il a eu lieu, la date à laquelle il serait intervenu, ne sont établies en l'état.

La cour observe également que le montant de l'indu figurant au pied du tableau d'anomalies communiqué en pièce n°2 ne correspond pas à celui mentionné à la lettre de notification, ce dont il se déduit nécessairement que le tableau produit ne couvre pas l'ensemble des constats motivant l'indu opposé à Mme [Y].

En conséquence de ces observations, la cour retient que la CPAM ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle a adressé à Mme [Y] une notification de payer comportant suffisamment d'éléments pour satisfaire à l'exigence de motivation posée par les dispositions de l'article R.133-9-1 du code de la sécurité sociale qui prévoient que la lettre précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, ainsi que la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement.

Le non-respect de l'exigence de motivation de la notification de payer l'indu justifie son annulation et entraîne, par voie de conséquence, le rejet de la demande en paiement dirigée contre Mme [Y].

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la CPAM de sa demande de remboursement d'indu. »

L’indu est annulé : la CPAM est déboutée de sa demande de remboursement

En conséquence, la Cour confirme le jugement de première instance ayant annulé la procédure :

  • La notification d’indu est jugée irrégulière et insuffisamment motivée.
  • La demande de remboursement de la CPAM est rejetée en totalité.
  • L’infirmière libérale n’a donc aucune somme à reverser au titre de cet indu.

Professionnels de santé : soyez vigilants à la régularité des notifications de payer

Cette décision rappelle aux professionnels de santé – et en particulier aux infirmiers et infirmières libérales – que la CPAM ne peut réclamer des sommes sans fournir une motivation complète, datée et justifiée.

Si vous recevez une notification d’indu :

  • Vérifiez la présence du détail des actes concernés,
  • Assurez-vous que le document permet d’identifier les versements en cause,
  • Contrôlez que la CPAM peut prouver l’envoi des documents annexes,
  • Et, si nécessaire, exercez un recours devant la commission de recours amiable ou les juridictions compétentes.

 

Avocat des professionnels et établissements de santé

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[1] L'article R.133-9-1 du code de la sécurité sociale dispose :

« I.-La notification de payer prévue à l'article L. 133-4 est envoyée par le directeur de l'organisme d'assurance maladie au professionnel, à l'établissement ou au distributeur par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Cette lettre précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées et la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement. Elle mentionne l'existence d'un délai de deux mois à partir de sa réception imparti au débiteur pour s'acquitter des sommes réclamées ainsi que les voies et délais de recours. Dans le même délai, l'intéressé peut présenter des observations écrites à l'organisme d'assurance maladie.

A défaut de paiement à l'expiration du délai de forclusion prévu à l'article R. 142-1 ou après notification de la décision de la commission instituée à ce même article, le directeur de l'organisme de sécurité sociale compétent lui adresse la mise en demeure prévue à l'article L. 133-4 par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

Cette mise en demeure comporte la cause, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement, le motif qui, le cas échéant, a conduit à rejeter totalement ou partiellement les observations présentées ainsi que l'existence du nouveau délai d'un mois imparti, à compter de sa réception, pour s'acquitter des sommes réclamées. Elle mentionne, en outre, l'existence et le montant de la majoration de 10 % appliquée en l'absence de paiement dans ce délai, ainsi que les voies et délais de recours.

II.-La majoration de 10 % peut faire l'objet d'une remise par le directeur de l'organisme de sécurité sociale à la demande du débiteur en cas de bonne foi de celui-ci ou si son montant est inférieur à un des seuils, différents selon qu'il s'agit d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé ou d'un distributeur, fixés par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.

III.-Les dispositions des articles R. 133-3R. 133-5 à R. 133-7 sont applicables à la contrainte instituée par l'article L. 133-4. »

[2] Cour d'appel de Riom - Chambre pôle social 8 avril 2025 / n° 23/00661




Eric ROCHEBLAVE - Avocat Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale

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Avocat Montpellier Eric ROCHEBLAVE

Avocat Spécialiste en Droit du Travail
et Droit de la Sécurité Sociale
Barreau de Montpellier
https://www.rocheblave.com/

Lauréat de l’Ordre des Avocats
du Barreau de Montpellier

Lauréat de la Faculté
de Droit de Montpellier

DESS Droit et Pratiques des Relations de Travail
DEA Droit Privé Fondamental
DU d’Études Judiciaires
DU de Sciences Criminelles
DU d’Informatique Juridique

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